Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 1.djvu/97

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On raconta toutes sortes da choses sur la pension, et sur ceux qui y vivaient. J’appris que M. Creakle avait raison de se baptiser lui-même un Tartare ; que c’était le plus dur et le plus sévère des maîtres ; que pas un jour ne s’écoulait sans qu’il vînt punir de sa propre main les élèves en faute. Il ne savait absolument rien autre chose que de punir, disait Steerforth ; il était plus ignorant que le plus mauvais élève ; il ne s’était fait maître de pension, ajoutait-il, qu’après avoir fait banqueroute dans un faubourg de Londres, comme marchand de houblon ; il n’avait pu se tirer d’affaire que grâce à la fortune de mistress Creakle ; sans compter bien d’autres choses encore que je m’étonnais qu’ils pussent savoir.

J’appris que l’homme à la jambe de bois, qui s’appelait Tungby, était un barbare impitoyable qui, après avoir servi d’abord dans le commerce du houblon, avait suivi M. Creakle dans la carrière de l’enseignement ; on supposait que c’était parce qu’il s’était cassé la jambe au service de M. Creakle, et qu’il savait tous ses secrets, l’ayant assisté dans beaucoup d’opérations peu honorables. J’appris qu’à la seule exception de M. Creakle, Tungby considérait toute la pension, maîtres ou élèves comme ses ennemis naturels, et qu’il mettait son plaisir à se montrer grognon et méchant. J’appris que M. Creakle avait un fils, que Tungby n’aimait pas ; et qu’un jour, ce fils qui aidait son père dans la pension, ayant osé lui adresser quelques observations sur la façon dont il traitait les enfants, peut-être même protester contre les mauvais traitements que sa mère avait à souffrir, M. Creakle l’avait chassé de chez lui, et que, depuis ce jour, mistress Creakle et miss Creakle menaient la vie la plus triste du monde.

Mais ce qui m’étonna le plus, ce fut d’entendre dire qu’il y avait un de ses élèves sur lequel M. Creakle n’avait jamais osé lever la main, et que cet élève était Steerforth. Steerforth confirma cette assertion, en disant qu’il voudrait bien voir qu’il le touchât du bout du doigt. Un élève pacifique (ce ne fut pas moi) lui ayant demandé comment il s’y prendrait si M. Creakle en venait là, il trempa une allumette dans le phosphore, comme pour donner plus d’éclat à sa réponse, et dit qu’il commencerait par lui donner un bon coup sur la tête avec la bouteille d’encre qui était toujours sur la cheminée. Après quoi, pendant quelques minutes, nous restâmes dans l’obscurité, n’osant pas seulement souffler de peur.

J’appris que M. Sharp et M. Mell ne recevaient qu’un misérable salaire ;