Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/147

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Cela dura jusqu’à l’heure de se coucher. Je me sentais si mal à l’aise, à force d’avoir vu la mère et le fils obscurcir cette demeure de leur atroce présence, comme deux grandes chauves-souris planant sur la maison, que j’aurais encore mieux aimé rester debout toute la nuit, avec le tricot et le reste, que d’aller me coucher. Je fermai à peine les yeux. Le lendemain, nouvelle répétition du tricot et de la surveillance, qui dura tout le jour.

Je ne pus trouver dix minutes pour parler à Agnès : c’est à peine si j’eus le temps de lui montrer ma lettre. Je lui proposai de sortir avec moi, mais mistress Heep répéta tant de fois qu’elle était très-souffrante, qu’Agnès eut la charité de rester pour lui tenir compagnie. Vers le soir, je sortis seul, pour réfléchir à ce que je devais faire, embarrassé de savoir s’il m’était permis de taire plus longtemps à Agnès ce qu’Uriah Heep m’avait dit à Londres ; car cela commençait à m’inquiéter extrêmement.

Je n’étais pas encore sorti de la ville, du côté de la route de Ramsgate, où il faisait bon se promener, quand je m’entendis appeler, dans l’obscurité, par quelqu’un qui venait derrière moi. Il était impossible de se méprendre à cette redingote râpée, à cette démarche dégingandée ; je m’arrêtai pour attendre Uriah Heep.

« Eh bien ? dis-je.

— Comme vous marchez vite ! dit-il ; j’ai les jambes assez longues, mais vous les avez joliment exercées !

— Ou allez-vous ?

— Je viens avec vous, maître Copperfield, si vous voulez permettre à un ancien camarade de vous accompagner. » Et en disant cela, avec un mouvement saccadé, qui pouvait être pris pour une courbette ou pour une moquerie, il se mit à marcher à côté de moi.

«  Uriah 1 ! lui dis-je aussi poliment que je pus, après un moment de silence.

— Maître Copperfield ! me répondit Uriah.

— À vous dire vrai (n’en soyez pas choqué), je suis sorti seul, parce que j’étais un peu fatigué d’avoir été si longtemps en compagnie. »

Il me regarda de travers, et me dit avec une horrible grimace :

« C’est de ma mère que vous voulez parler ?

— Mais oui.

— Ah ! dame ! vous savez, nous sommes si humbles, reprit-il ;