Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/150

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être humbles envers celui-ci, et humbles envers celui-là ; ici, il fallait ôter notre casquette ; là, il fallait faire la révérence, ne jamais oublier notre situation, et toujours nous abaisser devant nos supérieurs ; Dieu sait combien nous en avions de supérieurs ! Si mon père a gagné la médaille de moniteur, c’est à force d’humilité ; et moi de même. Si mon père est devenu sacristain, c’est à force d’humilité. Il avait la réputation, parmi les gens bien élevés, de savoir si bien se tenir à sa place, qu’on était décidé à le pousser. « Soyez humble, Uriah, disait mon père, et vous ferez votre chemin. » C’est ce qu’on noua a rabâché, à vous comme à moi, à l’école ; et c’est ce qui réussit le mieux. « Soyez humble, disait-il, et vous parviendrez. » Et réellement, ça n’a pas trop mal tourné.

Pour la première fois, j’apprenais que ce détestable semblant d’humilité était héréditaire dans la famille Heep ; j’avais vu la récolte, mais je n’avais jamais pensé aux semailles.

« Je n’étais pas plus grand que ça, dit Uriah, que j’appris à apprécier l’humilité et à en faire mon profit. Je mangeais mon humble chausson de pommes de bon appétit. Je n’ai pas voulu pousser trop loin mes humbles études, et je me suis dit : Tiens bon ! » Vous m’avez offert de m’enseigner le latin, mais pas si bête ! Mon père me disait toujours : «  Les gens aiment à vous dominer, courbez la tête et laissez faire. » En ce moment, par exemple, je suis bien humble, maître Copperfield, mais ça n’empêche pas que j’ai déjà acquis quelque pouvoir ! »

Tout ce qu’il me disait là, je lisais bien sur son visage, au clair de la lune, que c’était tout bonnement pour me faire comprendre qu’il était décidé à se servir de ce pouvoir-là. Je n’avais jamais mis en doute sa bassesse, sa ruse et sa malice ; mais je commençais seulement alors à comprendre tout ce que la longue contrainte de sa jeunesse avait amassé dans cette âme vile et basse de vengeance impitoyable.

Ce qu’il y eut de plus satisfaisant dans ce récit dégoûtant qu’il venait de me faire, c’est qu’il me lâcha le bras pour pouvoir encore se prendre le menton à deux mains. Une fois séparé de lui, j’étais décidé à garder cette position. Nous marchâmes à une certaine distance l’un de l’autre, m’échangeant que quelques mots.

Je ne sais ce qui l’avait mis en gaieté, si c’était la communication que je lui avais faite, ou le récit qu’il m’avait prodigué de son passé ; mais il était beaucoup pins en train que de