Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/185

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— Eh bien ! dis-je, quand cela serait !

— Et au-dessous de lui aussi, poursuivit Uriah très-distinctement et d’un ton de réflexion, tout en continuant à se gratter le menton.

— Vous devriez connaître assez le docteur, dis-je, pour savoir qu’avec son esprit distrait il ne songeait pas à vous quand vous n’étiez pas sous ses yeux. »

Il me regarda de nouveau de côté, allongea son maigre visage pour pouvoir se gratter plus commodément, et me répondit :

« Oh ! je ne parle pas du docteur ; oh ! certes non pauvre homme ! Je parle de M. Maldon. »

Mon cœur se serra ; tous mes doutes, toutes mes appréhensions sur ce sujet, toute la paix et tout le bonheur du docteur, tout ce mélange d’innocence et d’imprudence dont je n’avais pu pénétrer le mystère, tout cela, je vis en un moment que c’était à la merci de ce misérable grimacier.

« Jamais il n’entrait dans le bureau sans me dire de m’en aller et me pousser dehors, dit Uriah ; ne voilà-t-il pas un beau monsieur ! Moi j’étais doux et humble comme je le suis toujours. Mais, c’est égal, je n’aimais pas ça dans ce temps-la, pas plus que je ne l’aime aujourd’hui. »

Il cessa de se gratter le menton et se mit à sucer ses joues de manière qu’elles devaient se toucher à l’intérieur, toujours en me jetant le même regard oblique et faux.

« C’est ce que vous appelez une jolie femme, continua-t-il quand sa figure eut repris peu à peu sa forme naturelle ; et je comprends qu’elle ne voie pas d’un très-bon œil un homme comme moi. Elle aurait bientôt, j’en suis sûr, donné à mon Agnès le désir de viser plus haut ; mais si je ne suis pas un godelureau à plaire aux dames, maître Copperfield, cela n’empêche pas qu’on ait des yeux pour voir. Nous autres, avec notre humilité, en général, nous avons des yeux, et nous nous en servons ! »

J’essayai de prendre un air libre et dégagé, mais je voyais bien, à sa figure, que je ne lui donnais pas le change sur mes inquiétudes.

« Je ne veux pas me laisser battre, Copperfield, continua-t-il tout en fronçant, avec un air diabolique, l’endroit où auraient dû se trouver ses sourcils roux, s’il avait eu des sourcils, et je ferai ce que je pourrai pour mettre un terme à cette liaison. Je ne l’approuve pas. Je ne crains pas de vous avouer