Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/186

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

que je ne suis pas, de ma nature, un mari commode, et que je veux éloigner les intrus. Je n’ai pas envie de m’exposer à ce qu’on vienne comploter contre moi.

— C’est vous qui complotez toujours, et vous vous figurez que tout le monde fait comme vous, lui dis-je.

— C’est possible, maître Copperfield, répondit-il mais j’ai un but, comme disait toujours mon associé, et je ferai des pieds et des mains pour y parvenir. J’ai beau être humble, je ne veux pas me laisser faire. Je n’ai pas envie qu’on vienne en mon chemin. Tenez, réellement, il faudra que je leur fasse tourner les talons, maître Copperfield.

— Je ne vous comprends pas, dis-je.

— Vraiment ! répondit-il avec un de ses soubresauts habituels. Cela m’étonne, maître Copperfield, vous qui avez tant d’esprit. Je tâcherai d’être plus clair une autre fois. Tiens ! n’est-ce pas M. Maldon que je vois là-bas à cheval ? Il va sonner à la grille, je crois !

— Il en a l’air, répondis-je aussi négligemment que je pus.

Uriah s’arrêta tout court, mit ses mains entre ses genoux, et se courba en deux, à force de rire ; c’était un rire parfaitement silencieux : on n’entendait rien. J’étais tellement indigné de son odieuse conduite, et surtout de ses derniers propos, que je lui tournai le dos sans plus de cérémonie, le laissant là, courbé en deux, rire à son aise dans le jardin, où il avait l’air d’un épouvantail pour les moineaux.

Ce ne fut pas ce soir-là, mais deux jours après, un samedi, je me le rappelle bien, que je menai Agnès voir Dora. J’avais arrangé d’avance la visite avec miss Savinia, et on avait invité Agnès à prendre le thé.

J’étais également fier et inquiet, fier de ma chère petite fiancée, inquiet de savoir si elle plairait à Agnès. Tout le long de la route de Putney (Agnès était dans l’omnibus et moi sur l’impériale) je cherchais à me représenter Dora sous un de ces charmants aspects que je lui connaissais si bien ; tantôt je me disais que je voudrais la trouver exactement comme elle était tel jour : puis je me disais que j’aimerais peut-être mieux la voir comme tel autre ; je m’en donnais la fièvre.

En tout cas, j’étais sûr qu’elle serait très-jolie ; mais il arriva que jamais elle ne m’avait paru si charmante. Elle n’était pas dans le salon quand je présentai Agnès à ses deux petites tantes ; elle s’était sauvée par timidité. Mais maintenant, je savais où il fallait aller la chercher, et je la retrouvai qui se