Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/220

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découvris où avaient passé nos cuillers ; et de plus on me révéla qu’elle avait l’habitude d’emprunter, sous mon nom, de petites sommes à nos fournisseurs. Elle fut remplacée momentanément par mistress Kidgerbury, vieille bonne femme de Kentishtown qui allait faire des ménages au dehors, mais qui était trop faible pour en venir à bout ; puis nous trouvâmes un autre trésor d’un caractère charmant mais malheureusement ce trésor-là ne faisait pas autre chose que de dégringoler du haut en bas de l’escalier avec le plateau dans les mains, ou de faire le plongeon par terre dans le salon avec le service à thé, comme on pique une tête dans un bain. Les ravages commis par cette infortunée nous obligèrent à la renvoyer ; elle fut suivie, avec de nombreux intermèdes de mistress Kidgerbury, d’une série d’êtres incapables. À la fin nous tombâmes sur une jeune fille de très-bonne mine qui se rendit à la foire de Greenwich, avec le chapeau de Dora. Ensuite je ne me rappelle plus qu’une foule d’échecs successifs.

Nous semblions destinés à être attrapés par tout le monde. Dès que nous paraissions dans une boutique, on nous offrait des marchandises avariées. Si nous achetions un homard, il était plein d’eau. Notre viande était coriace, et nos pains n’avaient que de la mie. Dans le but d’étudier le principe de la cuisson d’un rosbif pour qu’il soit rôti à point, j’eus moi-même recours au livre de cuisine, et j’y appris qu’il fallait accorder un quart d’heure de broche par livre de viande, plus un quart d’heure en sus pour le tout. Mais il fallait que nous fussions victimes d’une bizarre fatalité, car jamais nous ne pouvions attraper le juste milieu entre de la viande saignante ou de la viande calcinée.

J’étais bien convaincu que tous ces désastres nous coûtaient beaucoup plus cher que si nous avions accompli une série de triomphes. En étudiant nos comptes, je m’apercevais que nous avions dépensé du beurre de quoi bitumer le rez-de-chaussée de notre maison. Quelle consommation ! Je ne sais si c’est que les contributions indirectes de cette année-là avaient fait renchérir le poivre, mais, au train dont nous y allions, il fallut, pour entretenir nos poivrières, que bien des familles fussent obligées de s’en passer, pour nous céder leur part. Et ce qu’il y avait de plus merveilleux dans tout cela, c’est que nous n’avions jamais rien dans la maison. ̃

Il nous arriva aussi plusieurs fois que la blanchisseuse mit notre linge en gage, et vint dans un état d’ivresse pénitente