Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/253

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— Monsieur, reprit-il en joignant et en écartant alternativement le bout de ses doigts, je ne peux pas répondre à la légère. Trahir la confiance de M. James vis-à-vis de sa mère, ou vis-à-vis de vous c’est bien différent. Il n’était pas probable, je crois, que M. James voulût encourager une correspondance propre à redoubler l’abattement ou les reproches de mademoiselle ; mais, monsieur, je désire ne pas aller plus loin.

— Est-ce toute? » me demanda miss Dartle.

Je répondis que je n’avais rien de plus à ajouter.

« Seulement, repris-je en le voyant s’éloigner, je comprends le rôle qu’a joué ce misérable dans toute cette coupable affaire, et je vais le faire savoir à celui qui a servi de père à Émilie depuis son enfance. Si j’ai un conseil à donner à ce drôle, c’est de ne pas trop se montrer en public. »

Il s’était arrêté en m’entendant parler, pour m’écouter avec son calme habituel.

« Merci, monsieur, mais permettez-moi de vous dire, monsieur, qu’il n’y a dans ce pays ni esclaves ni maîtres d’esclaves, et que personne ici n’a le droit de se faire justice lui-même ; quand on s’avise de le faire, je crois qu’on n’en est pas le bon marchand. C’est pour vous dire, monsieur, que j’irai où bon me semblera. »

Il me salua poliment, en fit autant à miss Dartle, et sortit par le sentier qu’il avait pris en venant. Miss Dartle et moi nous nous regardâmes un moment sans mot dire ; elle paraissait dans la même disposition d’esprit que lorsqu’elle avait fait paraître cet homme devant moi.

« Il dit de plus, remarqua-t-elle en serrant lentement les lèvres, que son maître voyage sur les côtes d’Espagne, et qu’il continuera probablement longtemps ses excursions maritimes. Mais cela ne vous intéresse pas. Il y a entre ces deux natures orgueilleuses, entre cette mère et ce fils, un abîme plus profond que jamais, et qui ne saurait se combler, car ils sont de la même race ; le temps ne fait que les rendre plus obstinés et plus impérieux. Mais cela ne vous intéresse pas davantage. Voici ce que je voulais vous dire. Ce démon, dont vous faites un ange ; cette basse créature qu’il a tirée de la boue, et elle tournait vers moi ses yeux noirs pleins de passion, elle vit peut-être encore. Ces viles créatures-là, ça a la vie dure. Si elle n’est pas morte, vous tiendrez certainement à retrouver cette perle précieuse pour l’enchâsser dans un écrin. Nous le désirons aussi, pour qu’il ne puisse jamais