Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/26

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me montrer étonné de vous voir dans cet état, puisque je vous connais à peine. Excusez-moi ; je vous ai dit cela sans intention.

— Que voulez-vous que je fasse ? répliqua la petite femme en se tenant debout et en levant les bras pour se faire voir. Voyez : mon père était tout comme moi, mon frère est de même, ma sœur aussi. Je travaille pour mon frère et ma sœur depuis bien des années… sans relâche, monsieur Copperfield, tout le jour. Il faut vivre. Je ne fais de mal à personne. S’il y a des gens assez cruels pour me tourner légèrement en plaisanterie, que voulez-vous que je fasse ? Il faut bien que je fasse comme eux ; et voilà comme j’en suis venue à me moquer de moi-même, de mes rieurs et de toutes choses. Je vous le demande, à qui la faute ? Ce n’est pas la mienne, toujours ! »

Non, non, je voyais bien que ce n’était pas la faute de miss Mowcher.

« Si j’avais laissé voir à votre perfide ami que, pour être naine, je n’en avais pas moins un cœur comme une autre, continua-t-elle en secouant la tête d’un air de reproche, croyez-vous qu’il m’eût jamais montré le moindre intérêt ? Si la petite Mowcher (qui ne s’est pourtant pas faite elle-même, monsieur) s’était adressée à lui ou à quelqu’un de ses semblables au nom de ses malheurs, croyez-vous que l’on eût seulement écouté sa petite voix ? La petite Mowcher n’en avait pas moins besoin de vivre, quand elle eût été la plus sotte et la plus grognon des naines, mais elle n’y eût pas réussi, oh ! non. Elle se serait essoufflée à demander une tartine de pain et de beurre, qu’on l’aurait bien laissée là mourir de faim, car enfin elle ne peut pourtant pas se nourrir de l’air du temps ! »

Miss Mowcher s’assit de nouveau sur le garde-cendres, tira son mouchoir et s’essuya les yeux.

« Allez ! vous devez plutôt me féliciter, si vous avez le cœur bon, comme je le crois, dit-elle, d’avoir eu le courage, dans ce que je suis, de supporter tout cela gaiement. Je me félicite moi-même, en tout cas de pouvoir faire mon petit bonhomme de chemin dans le monde sans rien devoir à personne, sans avoir à rendre autre chose pour le pain qu’on me jette en passant, par sottise ou par vanité, que quelques folies en échange. Si je ne passe pas ma vie à me lamenter de tout ce qui me manque, c’est tant mieux pour moi, et cela ne fait de tort à personne. S’il faut que je serve de jouet à vous autres géants, au moins traitez votre jouet doucement. »