Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/325

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y alliez tons les deux, ou bien je ne vous croirai pas, et ça me fera pleurer. »

Je vis sur le visage de ma tante qu’elle commençait à céder, et Dora s’épanouit en le voyant aussi.

« Vous aurez tant de choses à me raconter, qu’il me faudra au moins huit jours pour l’entendre et le comprendre, dit Dora ; car je ne comprendrai pas tout de suite, si ce sont des affaires, comme c’est bien probable. Et puis, s’il y a des additions à faire, je n’en viendrai pas à bout, et ce méchant garçon aura l’air contrarié tout le temps. Allons, vous irez, n’est-ce pas ? Vous ne serez absents qu’une nuit, et Jip prendra soin de moi pendant ce temps-là. David me portera dans ma chambre avant que vous partiez, et je ne redescendrai que quand vous serez de retour ; vous porterez aussi à Agnès une lettre de reproches ; je veux la gronder de n’être jamais venue nous voir ! »

Nous décidâmes, sans plus de contestations, que nous partirions tous les deux, et que Dora était une petite rusée qui s’amusait à faire la malade pour se faire soigner. Elle était enchantée et de très-bonne humeur ; nous prîmes ce soir-là la malle-poste de Canterbury, ma tante, M. Dick, Traddles et moi. Je trouvai une lettre de M. Micawber à l’hôtel où il nous avait priés de l’attendre et où nous eûmes assez de peine à nous faire ouvrir au milieu de la nuit ; il m’écrivait qu’il nous viendrait voir le lendemain matin à neuf heures et demie précises. Après quoi, nous allâmes tout frissonnants nous coucher, à cette heure incommode, passant pour gagner nos lits respectifs, à travers d’étroits corridors qu’on aurait dits, d’après l’odeur, confits dans une solution de soupe et de fumier.

Le lendemain matin, de bonne heure, j’errai dans les rues paisibles de cette antique cité : je me promenai à l’ombre des vénérables cloîtres et des églises. Les corbeaux planaient toujours sur les tours de la cathédrale, et les tours elles-mêmes, qui dominent tout le riche pays d’alentour avec ses rivières gracieuses, semblaient fendre l’air du matin, sereines et paisibles, comme si rien ne changeait sur la terre. Et pourtant les cloches, en résonnant à mes oreilles, ne me rappelaient que trop que tout change ici-bas ; elles me rappelaient leur propre vieillesse et la jeunesse de ma charmante Dora ; elles me racontaient la vie de tous ceux qui avaient passé près d’elles pour aimer, puis pour mourir, tandis que leur son plaintif venait frapper l’armure rouillée du prince Noir dans