Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/332

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— Je sais qu’on lui a soutiré quelque chose par des moyens frauduleux, reprit doucement Traddles ; et vous le savez aussi bien que moi, monsieur Heep. Nous laisserons cette question à traiter à M. Micawber, si vous le voulez bien.

— Uriah ! dit mistress Heep d’un ton inquiet.

— Taisez-vous, ma mère, répondit-il, moins on parle, moins on se trompe.

— Mais, mon ami…

— Voulez-vous me faire le plaisir de vous taire, ma mère, et de me laisser parler ? »

Je savais bien depuis longtemps que sa servilité n’était qu’une feinte, et qu’il n’y avait en lui que fourberie et fausseté ; mais, jusqu’au jour où il laissa tomber son masque, je ne m’étais fait aucune idée de l’étendue de son hypocrisie. J’avais beau la connaître depuis de longues années, et le détester cordialement, je fus surpris de la rapidité avec laquelle il cessa de mentir, quand il reconnut que tout mensonge lui serait inutile ; de la malice, de l’insolence et de la haine qu’il laissa éclater, de sa joie en songeant, même alors, à tout le mal qu’il avait fait. Je croyais savoir à quoi m’en tenir sur son compte, et pourtant ce fut toute une révélation pour moi, car en même temps qu’il affectait de triompher, il était au désespoir, et ne savait comment se tirer de ce mauvais pas.

Je ne dis rien du regard qu’il me lança, pendant qu’il se tenait là debout, à nous lorgner les uns après les autres, car je n’ignorais pas qu’il me haïssait, et je me rappelais les marques que ma main avait laissées sur sa joue. Mais, quand ses yeux se fixèrent sur Agnès, ils avaient une expression de rage qui me fit frémir : on voyait qu’il sentait qu’elle lui échappait ; il ne pourrait satisfaire l’odieuse passion qui lui avait fait espérer de posséder une femme dont il était incapable d’apprécier toutes les vertus. Était-il possible qu’Agnès eût été condamnée à vivre, seulement une heure, dans la compagnie d’un pareil homme !

Il se grattait le menton, puis nous regardait avec colère, enfin il se tourna de nouveau vers moi et me dit d’un ton demi-patelin, demi-insolent :

« Et vous, Copperfield, qui faites tant de fracas de votre honneur et de tout ce qui s’ensuit ; comment m’expliquerez-vous, monsieur l’honnête homme, que vous veniez espionner ce qui se passe chez moi, et suborner mon commis pour qu’il vous confiât mes affaires ? Si c’était moi, je n’en serais