Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/401

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ciel rougeâtre : on distinguait le plus mince de ses espars et de ses cordages sur ce fond éclatant. C’était si beau, si triste, et en même temps si encourageant, de voir ce glorieux vaisseau immobile encore sur l’onde doucement agitée, avec tout son équipage tous ses passagers, rassemblés en foule sur le pont, silencieux et tête nue, que je n’avais jamais rien vu de pareil.

Le silence ne dura qu’un moment. Le vent souleva les voiles. Le vaisseau s’ébranla ; trois hourrahs retentissants, partis de toutes les barques, et répétés à bord vinrent d’écho en écho mourir sur le rivage. Le cœur me faillit à ce bruit, à la vue des mouchoirs et des chapeaux qu’on agitait en signe d’adieu, et c’est alors que je la vis.

Oui, je la vis à côté de son oncle toute tremblante contre son épaule. Il nous montrait à sa nièce, elle nous vit à son tour, et m’envoya de la main un dernier adieu. Allez, pauvre Émilie ! belle et frêle plante battue par l’orage ! Attachez-vous à lui comme le lierre avec toute la confiance que vous laisse votre cœur brisé, car il s’est attaché à vous avec toute la force de son puissant amour.

Au milieu des teintes roses du ciel, elle, appuyée sur lui, et lui la soutenant dans ses bras, ils passèrent majestueusement et disparurent. Quand nous tournâmes nos rames vers le rivage, la nuit était tombée sur les collines du Kent. Elle était aussi tombée sur moi, bien ténébreuse.


Oh ! oui, une nuit bien longue et bien ténébreuse troublée par tant d’espérances déçues, tant de chers souvenirs, tant d’erreurs passées, tant de chagrins stériles, tant de regrets amers qui venaient la hanter comme des spectres nocturnes.

Je quittai l’Angleterre, sans bien comprendre encore toute la force du coup que j’avais à supporter. Je quittai tous ceux qui m’étaient chers et je m’en allai ; je croyais que j’en étais quitte, et que tout était fini comme cela. De même que, sur