Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/404

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riche verdure ; au-dessus de cette joyeuse végétation croissaient de sombres forets de sapins, qui fendaient ces masses de neige comme un coin et soutenaient l’avalanche. Plus haut, on voyait des rochers grisâtres, des sentiers raboteux, des glaçons et de petites oasis de pâturage qui allaient se perdre dans la neige dont la cime des monts était couronnée. Ça et là, sur le revers delà montagne, quelques points sur la neige, et chaque point était une maison. Tous ces chalets solitaires, écrasés par la grandeur sublime des cimes gigantesques qui les dominaient paraissaient trop petits, en comparaison, pour des jouets d’enfant. Il en était de même du village, groupé dans la vallée, avec son pont de bois jeté sur le ruisseau qui tombait en cascade sur les rochers brisés, et courait à grand bruit au milieu des arbres. On entendait au loin, dans le calme du soir, une espèce de chant : c’étaient les voix des bergers, et en voyant un nuage, éclatant des feux du soleil couchant, flotter à mi-côte sur le flanc de la montagne, je croyais presque entendre sortir de son sein les accents de cette musique sereine qui n’appartenait pas à la terre. Tout d’un coup, au milieu de cette grandeur imposante, la voix, la grande voix de la nature me parla ; docile à son influence secrète, je posai sur le gazon ma tête fatiguée, je pleurai comme je n’avais pas pleuré encore depuis la mort de Dora.

J’avais trouvé quelques instants auparavant un paquet de lettres qui m’attendait, et j’étais sorti du village pour les lire pendant qu’on préparait mon souper. D’autres paquets s’étaient égarés et je n’en avais pas reçu depuis longtemps. Sauf une ligne ou deux, pour dire que j’étais bien et que j’étais arrivé à cet endroit, je n’avais eu ni le courage ni la force d’écrire une seule lettre depuis mon départ.

Le paquet était entre mes mains. Je l’ouvris, et je reconnus l’écriture d’Agnès.

Elle était heureuse, comme elle nous l’avait dit, de se sentir utile. Elle réussissait dans ses efforts, comme elle l’avait espéré. C’était tout ce qu’elle me disait sur son propre compte. Le reste avait rapport à moi.

Elle ne me donnait pas de conseils ; elle ne me parlait pas de mes devoirs ; elle me disait seulement, avec sa ferveur accoutumée, qu’elle avait confiance en moi. Elle savait, disait-elle, qu’avec mon caractère je ne manquerais pas de tirer une leçon salutaire du chagrin même qui m’avait frappé. Elle savait que les épreuves et la douleur ne feraient qu’élever et fortifier