Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/433

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l’avait décrit. Nous dînâmes en compagnie de cinq ou six petites filles ; il avait l’air de n’être plus que l’ombre du beau portrait qu’on voyait sur la muraille.

La tranquillité et la paix qui régnaient jadis dans cette paisible demeure, et dont J’avais gardé un si profond souvenir, y étaient revenues. Quand le dîner fut terminé, M. Wiekfield ne prenant plus le vin du dessert, et moi refusant d’en prendre comme lui, nous remontâmes tous. Agnès et ses petites élèves se mirent à chanter, à jouer et à travailler ensemble. Après le thé les enfants nous quittèrent, et nous restâmes tous trois ensemble, à causer du passé.

« J’y trouve bien des sources de regret, de profond regret et de remords, Trotwood, dit M. Wieckfield, en secouant sa tête blanchie ; vous ne le savez que trop. Mais avec tout cela je serais bien fâché d’en effacer le souvenir, lors même que ce serait en mon pouvoir. »

Je pouvais aisément le croire : Agnès était à côté de lui !

« J’anéantirais en même temps, continua-t-il, celui de la patience, du dévouement, de la fidélité, de l’amour de mon enfant, et cela, je ne veux pas l’oublier, non, pas même pour parvenir à m’oublier moi-même.

— Je vous comprends, monsieur, lui dis-je doucement. Je la vénère. J’y ai toujours pensé… toujours, avec vénération.

— Mais personne ne sait, pas même vous, reprit-il, tout ce qu’elle a fait, tout ce qu’elle a supporté, tout ce qu’elle a souffert. Mon Agnès ! »

Elle avait mis sa main sur le bras de son père comme pour l’arrêter, et elle était pâle, bien pâle !

« Allons ! allons ! » dit-il, avec un soupir, en repoussant évidemment le souvenir d’un chagrin que sa fille avait eu à supporter, qu’elle supportait peut-être même encore (je pensai à ce que m’avait dit ma tante), Trotwood, je ne vous ai jamais parlé de sa mère. Quelqu’un vous en a-t-il parlé ?

— Non, monsieur.

— Il n’y a pas beaucoup à en dire… bien qu’elle ait eu beaucoup à souffrir. Elle m’a épousé contre la volonté de son père, qui l’a reniée. Elle l’a supplié de lui pardonner, avant la naissance de mon Agnès. C’était un homme très-dur, et la mère était morte depuis longtemps. Il a rejeté sa prière. Il lui a brisé le cœur. »

Agnès s’appuya sur l’épaule de son père et lui passa doucement les bras autour du cou.