Page:Dickens - David Copperfield, Hachette, 1894, tome 2.djvu/434

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

« C’était un cœur doux et tendre, dit-il, il l’a brisé. Je savais combien c’était une nature frêle et délicate. Nul ne le pouvait savoir aussi bien que moi. Elle m’aimait beaucoup, mais elle n’a jamais été heureuse. Elle a toujours souffert en secret de ce coup douloureux, et quand son père la repoussé pour la dernière fois, elle était faible et malade… elle languit puis elle mourut. Elle me laissa Agnès qui n’avait que quinze jours encore, et les cheveux gris que vous vous rappelez m’avoir vus déjà la première fois que vous êtes venu ici. »

Il embrassa sa fille.

« Mon amour pour mon enfant était un amour plein de tristesse, car mon âme tout entière était malade. Mais à quoi bon vous parler de moi ? C’est de sa mère et d’elle que je voulais vous parler, Trotwood. Je n’ai pas besoin de vous dire ce que j’ai été ni ce que je suis encore, vous le devinerez bien ; je le sais. Quant à Agnès, je n’ai que faire aussi de vous dire ce qu’elle est ; mais j’ai toujours retrouvé en elle quelque chose de l’histoire de sa pauvre mère ; et c’est pour cela que je vous en parle ce soir, à présent que nous sommes de nouveau réunis après de si grands changements. J’ai fini. »

Il baissa la tête, elle pencha vers lui son visage d’ange, qui prit, avec ses caresses filiales, un caractère plus pathétique encore après ce récit. Une scène si touchante était bien faite pour fixer d’une façon toute particulière dans ma mémoire le souvenir de cette soirée, la première de notre réunion. Agnès se leva, et, s’approchant doucement de son piano, elle se mit à jouer quelques-uns des anciens airs que nous avions si souvent écoutés au même endroit.

« Avez-vous le projet de voyager encore ? me demanda Agnès tandis que j’étais debout à côté d’elle.

— Qu’en pense ma sœur ?

— J’espère que non.

— Alors je n’en ai plus le projet, Agnès.

— Puisque vous me consultez, Trotwood, je vous dirai que mon avis est que vous n’en devez rien faire, reprit-elle doucement. Votre réputation croissante et vos succès vous encouragent à continuer ; et lors même que je pourrais me passer de mon frère, continua-t-elle en fixant ses yeux sur moi, peut-être le temps, plus exigeant, réclame-t-il de vous une vie plus active.

— Ce que je suis c’est votre œuvre, Agnès ; c’est à vous d’en juger.