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L’AMI COMMUN.

même place, et miss Wren, qui, dans son coin, avait l’air indigné.

« Eh ! s’écria-t-il, vous oubliez cette jeune fille, mister Riah. Donnez-lui ce qu’elle demande ; elle a bien assez attendu ; faites-lui bonne mesure, en supposant que vous puissiez être généreux une fois dans votre vie. »

Il regarda le vieux Juif mettre dans le petit panier les menus chiffons que la petite ouvrière avait l’habitude d’acheter ; mais, repris de sa veine joyeuse, il fut obligé de retourner à la fenêtre, et s’y appuya de nouveau.

« Là ! chère Cendrillon, dit le vieillard à voix basse, le panier est tout plein ; allez-vous-en, et soyez bénie.

— Ne m’appelez pas votre chère Cendrillon, cruel que vous êtes, répondit la petite ouvrière en agitant l’index avec autant d’indignation que si elle l’avait été en face de son ignoble enfant ; vous n’êtes pas la bonne marraine ; vous êtes le loup, dit-elle, le méchant loup ; et si un jour Lizzie est vendue, je saurai bien qui l’aura trahie. »


XIV

MISTER WEGG PRÉPARE UNE MEULE POUR LE NEZ
DE MISTER BOFFIN


Bientôt Vénus devint indispensable aux soirées du Bower. Avoir un co-auditeur des merveilles que révélait Silas, un associé, calculant avec lui le nombre de pièces d’or trouvées dans les théières, les cheminées, les magasins et autres banques de même nature, semblait augmenter les jouissances de mister Boffin. D’autre part, Silas Wegg, bien que jaloux par tempérament, et qui, en temps habituel, eût été blessé de la faveur croissante de l’anatomiste, éprouvait un si grand besoin d’avoir l’œil sur ce gentleman, en raison du précieux papier dont celui-ci était dépositaire, qu’il ne manquait pas une occasion de faire à mister Boffin l’éloge de Vénus, comme d’une tierce partie dont la présence était fort à désirer. Autre preuve d’affection du littérateur envers l’anatomiste : dès que le patron les avait quittés, Silas reconduisait invariablement le cher camarade jusque chez lui.