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L’AMI COMMUN.

XVI

DOUX ANNIVERSAIRE


Tandis qu’il s’habille au-dessus des écuries de Duke-street, quartier Saint-James, l’estimable Twemlow entend que les chevaux d’en bas sont à leur toilette, et comparant sa position à celle de ces nobles bêtes, il trouve la sienne bien moins avantageuse. Non-seulement il n’a pas de valet de chambre, qui, le frappant du plat de la main, lui dise d’une voix bourrue de se tourner à droite ou à gauche ; mais il n’a aucun valet, et toutes ses articulations étant rouillées quand il se lève, il lui serait agréable d’être même attaché par la tête à la porte de sa chambre, et de s’y voir frotté, brossé, peigné, lavé à grande eau, épongé, essuyé, habillé, en ne prenant part à ces obligations fatigantes que d’une manière passive.

Quant à la façon dont procède la séduisante Tippins lorsqu’elle se prépare à troubler les sens des hommes, sa femme de chambre et les Grâces en ont seules connaissance. Mais bien qu’elle n’en soit pas réduite comme Twemlow à se servir elle-même, cette fascinatrice pourrait simplifier notablement la restauration quotidienne de ses charmes ; car, sous le rapport du cou et du visage, cette diva est une espèce de langouste, qui, chaque matin, fait peau neuve, ce qui l’oblige à se tenir dans un endroit retiré jusqu’à ce que la nouvelle croûte ait suffisamment durci.

Twemlow finit cependant par se mettre un col, une cravate et des manchettes qui lui retombent sur les doigts, et il va déjeuner en ville.

Chez qui ce déjeuner peut-il avoir lieu, sinon chez ses voisins, les Lammle de Sackville-street, où il doit rencontrer Fledgeby, son parent éloigné. L’imposant Snigsworth peut mettre Fledgeby à l’index, et lui interdire sa présence ; mais le pacifique Twemlow se dit avec raison : « S’il est mon parent, ce n’est pas ma faute ; d’ailleurs ce n’est pas connaître un homme que de se trouver avec lui. »

Il y a déjà un an qu’Alfred et Sophronia sont mariés, et si l’anniversaire de cet heureux événement n’est célébré que par un déjeuner, c’est qu’un repas du soir, avec toute la pompe qu’exi-