Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/103

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Elle se hâta de refuser, disant que la pluie ou le soleil ne lui importaient guère, habituée comme elle était à sortir par tous les temps. Il savait qu’elle disait vrai, et cela ne fit qu’augmenter la pitié qu’elle lui inspirait, en songeant que ce frêle petit être était obligé de traverser la nuit les rues humides, sombres et bruyantes de Londres, pour regagner un lieu de repos comme celui qu’il venait de quitter.

« Vous m’avez témoigné tant d’intérêt hier soir, monsieur, et j’ai su plus tard que vous vous étiez montré si généreux envers mon père, que je n’ai pas pu résister à votre message, quand ce n’aurait été que pour vous remercier ; surtout comme je désirais beaucoup vous dire… »

Elle hésita et trembla ; des larmes lui montèrent aux yeux, mais ne coulèrent pas.

« Me dire… ?

— Que j’espère que vous ne vous méprendrez pas sur le caractère de mon père. Ne le jugez pas comme vous jugeriez quelqu’un en dehors de la prison. Il y a si longtemps qu’il y est ! Je ne l’ai jamais vu ailleurs, mais je sais qu’il a dû changer sous beaucoup de rapports depuis qu’il y est.

— Je ne suis pas du tout disposé à porter sur lui un jugement injuste ou sévère, soyez-en sûre.

— Non qu’il ait à rougir de quoi que ce soit, reprit-elle avec un peu d’orgueil, la pensée lui étant évidemment venue qu’elle pouvait avoir l’air de trahir le vieillard, ou que j’aie moi-même aucun motif de rougir de lui. Il faut seulement le connaître. Tout ce que je demande, c’est qu’on soit assez juste pour se rappeler l’histoire de sa vie. Tout ce qu’il a dit est parfaitement exact. Tout cela est arrivé comme il vous l’a raconté. On le respecte beaucoup. Les nouveaux venus sont toujours heureux de faire sa connaissance. Sa société est plus recherchée que celle d’aucun autre détenu. On fait bien moins de cas du gouverneur que de lui. »

Si jamais orgueil fut excusable, ce fut celui de la petite Dorrit faisant l’éloge de son père.

« J’ai très souvent entendu dire que ses manières sont celles d’un vrai gentleman, et tout à fait exemplaires. Je ne vois personne là qui puisse rivaliser avec lui : tout le monde, au contraire, reconnaît qu’il est supérieur aux autres prisonniers. C’est autant pour cela qu’on lui fait des cadeaux que parce qu’on sait qu’il est pauvre. On ne peut le blâmer d’être pauvre. Qui donc pourrait habiter une prison pendant un quart de siècle et devenir riche ? »

Quelle affection dans ses paroles, quelle sympathie dans ses larmes refoulées, quelle ardeur de fidélité dans son âme, quelle sincérité dans son empressement à entourer le vieillard d’une auréole, hélas ! peu méritée !

« Si j’ai cru qu’il valait mieux cacher mon adresse, ce n’est pas que je rougisse de lui. Dieu m’en préserve ! Je ne rougis même pas de ma demeure autant qu’on pourrait le supposer. Ceux qui vien-