Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/116

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à éclairer la cuisine souterraine avait l’air d’une poche de gilet humide : c’était là le no 24 de Mews-Street (attenant à) Grosvenor-Square. À en juger par l’odorat, cette maison ressemblait en quelque sorte à une bouteille d’essence concentrée de fumier ; et, lorsque le valet de pied vint ouvrir, il sembla qu’on débouchait le flacon.

Le valet de pied en question était aux valets de pied de Grosvenor-Square ce que les maisons de Mews-Street sont à celles de Grosvenor-Square. Il était très bien dans son genre, mais c’était le genre d’un domestique d’impasses et d’escaliers dérobés. Sa splendeur n’était pas sans un certain mélange de malpropreté ; son teint et sa corpulence avaient eu à souffrir de l’état atmosphérique de son office. Une fluidité jaunâtre gâtait l’expression de sa physionomie au moment où il daigna ouvrir la porte… je veux dire lorsqu’il fit sauter le bouchon pour mettre le flacon sous le nez de M. Clennam.

« Veuillez remettre cette carte à M. Tenace Mollusque, et lui dire que je viens de voir M. Mollusque jeune, qui m’a engagé à passer ici. »

Le valet de pied (qui avait sur les parements de ses poches tant de larges boutons aux armes des Mollusques, qu’on pouvait croire qu’il portait sur lui l’argenterie et les joyaux de la famille, tous soigneusement boutonnés), réfléchit un instant en regardant la carte, puis il dit : « Entrez. » Il fallut quelque présence d’esprit pour obéir à cette injonction, sans se cogner contre la porte intérieure de l’antichambre et sans rouler de là jusqu’au bas de l’escalier de la cuisine, au milieu de la confusion morale et de l’obscurité physique causées par cette entrée difficile. Le visiteur, grâce au ciel, débarqua sain et sauf sur le paillasson de l’antichambre.

Le valet de pied continuant à dire : « Entrez, » le visiteur continua à le suivre. À la seconde porte, nouveau flacon, nouveau bouchon. Le nez d’Arthur dégusta à cette autre fiole un mélange de provisions concentrées et de lavures de vaisselle. Après une légère escarmouche dans l’étroit passage, occasionnée par une bévue du valet, qui ouvrit de confiance la porte d’une lugubre salle à manger, et qui, en reconnaissant avec consternation qu’elle n’était pas habitée, recula en désordre, au risque d’écraser les pieds du visiteur, ce dernier fut enfermé, tandis qu’on l’annonçait, dans un petit salon de derrière tout moisi. Là il fut à même de respirer à la fois les parfums rafraîchissants des deux flacons combinés, avec la vue d’un pan de mur éloigné de trois pieds, qui n’admettait qu’un jour de souffrance. Il se demandait, pour se distraire, s’il était possible qu’il y eût en Angleterre beaucoup de familles Mollusques assez serviles pour se condamner à habiter de pareils trous.

M. Mollusque voulait bien le recevoir, « Monsieur veut-il se donner la peine de monter ? » Monsieur voulut bien, et il le prouva en montant tout de suite ; et dans le salon il trouva, le pied étendu sur un tabouret, M. Mollusque en personne, image vivante et frappante de l’art de rien, rien, rien.

M. Mollusque datait d’une époque plus propice, d’une époque où