Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/122

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Arthur Clennam ne put s’empêcher de remarquer que c’était un drôle de moyen d’avancer les affaires.

Cette observation amusa beaucoup le gracieux petit Mollusque, qui ne pouvait pas se figurer qu’on fût assez naïf pour conserver le moindre doute à cet égard. Cet actif petit Mollusque savait fort bien qu’on aurait dû suivre une tout autre marche. Ce léger petit Mollusque avait étudié l’engrenage des Circonlocutions en qualité de secrétaire particulier, afin d’être préparé à sauter sur le premier emploi lucratif qui pourrait se présenter, et il comprenait parfaitement que ce ministère était une jonglerie politico-diplomatique, qui avait pour but d’aider les bureaucrates à tenir le vulgaire à distance. Bref, cet élégant petit Mollusque ne pouvait manquer de devenir un homme d’État et de se distinguer dans cette carrière.

« Quand l’affaire se trouvera régulièrement instruite devant un bureau quelconque, poursuivit ce brillant petit Mollusque, vous surveillerez de temps en temps ce bureau-là. Lorsqu’elle sera régulièrement instruite devant tel autre bureau, vous visiterez de temps en temps ce bureau-là. Nous aurons à en référer à droite et à gauche, et quand nous l’aurons attribuée à quelqu’un, vous aurez à surveiller ce quelqu’un-là. Quand on nous la renverra, alors c’est nous que vous ferez bien de surveiller. Quand l’affaire aura l’air de s’arrêter en route, vous aurez à donner un coup d’épaule. Lorsque vous aurez écrit à ce bureau-ci ou à ce bureau-là sans obtenir de réponse, ce que vous aurez de mieux à faire, c’est de… continuer à écrire. »

Arthur Clennam parut très indécis. « Dans tous les cas, dit-il, je vous remercie de votre politesse.

— Pas du tout, répliqua cet aimable petit Mollusque. Vous n’avez qu’à essayer ; venez si cela vous amuse. Rien ne vous obligera à continuer si vous vous sentez fatigué. Vous ferez bien d’emporter un tas d’imprimés… Remettez-lui un tas d’imprimés à remplir. »

Ayant donné cet ordre au numéro deux, ce pétillant petit Mollusque prit une nouvelle poignée de lettres des mains des numéros un et deux, et emporta ces documents dans le sanctuaire, afin de les offrir aux idoles qui dirigeaient le ministère des Circonlocutions.

Arthur Clennam mit les imprimés dans sa poche d’un air assez sombre, et redescendit le long couloir et le long escalier. Il était arrivé auprès de la porte à battants mobiles qui s’ouvre sur la rue, et attendait avec impatience que deux personnes qui se trouvaient devant lui lui permissent d’avancer, lorsque la voix de l’une d’elles résonna familièrement à son oreille. Il regarda l’orateur et reconnut M. Meagles. M. Meagles, qui avait le teint très animé, plus animé que vingt voyages n’auraient pu faire, tenait au collet un homme de petite taille qui se trouvait là, et lui criait :

« Sortons, gredin, sortons ! »

Ce langage, dans la bouche de M. Meagles, paraissait si étrange,