Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/149

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

faire tic tac à l’unisson. Dans la cheminée du salon, un feu aux flammes modestes semblait également se livrer à un tic tac silencieux. Il n’y avait qu’une seule personne auprès de la cheminée, et on entendait parfaitement le tic tac de sa montre.

La servante avait prononcé si doucement les mots : « Monsieur Clennam, » que son maître ne l’avait pas entendue ; le visiteur resta donc debout et inaperçu auprès de la porte qu’elle venait de refermer. Un vieillard, dont les sourcils lisses et gris paraissaient se mouvoir à mesure que la flamme du foyer s’élevait ou s’abaissait, assis dans un fauteuil, ses chaussons de lisière posés sur le devant de la cheminée, roulait lentement ses pouces l’un autour de l’autre. C’était le vieux Christophe Casby, reconnaissable au premier coup d’œil, aussi peu changé, au bout de vingt années, que les meubles solides qui l’entouraient, aussi peu altéré par l’influence des saisons que les vieilles feuilles de rose qui remplissaient ses vases de porcelaine.

Peut-être n’y a-t-il jamais eu, dans ce monde rempli d’énigmes, un homme qu’il fût plus difficile pour l’imagination de transformer en enfant. Et pourtant, le vieillard avait depuis ce temps-là bien peu changé dans son voyage à travers l’existence. En face de lui, dans la même salle où il était assis, on voyait le portrait d’un petit garçon, que le premier venu aurait reconnu sans hésitation pour le portrait du jeune Christophe Casby, âgé de dix ans : bien qu’il fût déguisé au moyen d’un râteau à foin (instrument pour lequel, à aucune époque de sa vie, il n’avait eu le moindre goût, et qui lui était aussi utile qu’une cloche à plongeur), et qu’il fût assis sur un banc de gazon ou de violettes, abîmé dans une contemplation précoce à la vue d’un clocher de village. C’était le même visage et le même front lisse, le même regard bleu et calme, le même air de sérénité. Cette brillante tête chauve, qui n’en paraissait que plus grosse, et ces longs cheveux gris qui l’encadraient de chaque côté et par derrière, comme des fils de la Vierge ou du verre filé, et qui avaient un aspect si vénérable parce qu’on ne les coupait jamais, n’existaient pas, cela va sans dire, dans le portrait de l’enfant, comme aujourd’hui chez le vieillard. Néanmoins, dans l’être séraphique qui tenait le râteau à foin, on découvrait les rudiments incontestables du patriarche aux chaussons de lisière.

Patriarche, tel était le nom que beaucoup de gens se plaisaient à lui donner. Plusieurs vieilles dames du voisinage l’avaient surnommé le Dernier des Patriarches. Quel nom plus convenable aurait-on pu trouver pour M. Casby, si gris, si lent, si paisible, si calme, avec une tête si couverte de bosses vénérables ? On l’avait accosté quelquefois dans la rue pour le prier respectueusement de fournir un modèle de patriarche à des peintres ou à des sculpteurs : on y avait mis tant d’importunité qu’il paraîtrait que les beaux-arts se trouvent dans l’impossibilité de se rappeler les qualités physiques d’un patriarche ou d’en inventer un de leur crû. Des philanthropes des deux sexes demandaient quelquefois quel était ce vieillard, et