Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/151

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Arthur répondit, comme de raison, qu’il lui en était infiniment obligé.

« Il fut un temps, continua le patriarche, où vos parents et moi ne vivions pas en très bonne intelligence. Il a existé entre nos deux familles un petit malentendu. Peut-être votre respectable mère était-elle un peu fière de son fils. Quand je dis son fils, c’est de vous que je parle, mon digne monsieur…, de vous-même, mon digne monsieur ! »

Sa physionomie lisse avait la fraîcheur d’une pêche d’espalier. Grâce à son visage florissant, grâce à sa tête vénérable, à ses yeux bleus, M. Casby donnait à toutes ses observations un air de profonde sagesse et de vertu incomparable. Ses traits semblaient aussi respirer la bonté et la bienveillance. Personne n’aurait pu préciser où était nichée cette sagesse, cette vertu, cette bonté bienveillante ; mais enfin elles avaient l’air d’être quelque part par là autour de lui.

« Mais ce temps-là, poursuivit M. Casby, n’est plus : il est passé, il est passé. Je me fais le plaisir de visiter votre mère de temps en temps et d’admirer le courage et la vigueur d’esprit avec lesquels elle supporte de si rudes épreuves… de si rudes épreuves. »

Lorsqu’il se livrait à une de ces petites répétitions, les mains croisées devant lui, M. Casby l’accompagnait d’un aimable sourire en penchant la tête de côté, comme s’il y eût eu au fond de ses douces pensées quelque chose que les paroles étaient impuissantes à rendre. On eût dit qu’il se privait à dessein du plaisir d’exprimer cette pensée exubérante, de peur qu’elle ne prît un essor trop sublime ; il aimait mieux, dans son humilité, se résigner à dire des choses insignifiantes.

« J’ai appris que vous aviez été assez bon, dans une de vos visites, dit Arthur, saisissant l’occasion au vol, pour recommander la petite Dorrit à ma mère.

— La petite… Dorrit ?… Ah oui, la couturière dont m’avait parlé un de mes humbles locataires ? Oui, oui. Dorrit, c’est bien cela. Ah oui, oui ! Vous l’appelez la petite Dorrit ? »

Aucun renseignement à espérer de ce côté-là. Le chemin de traverse qu’Arthur venait de prendre aboutissait à une impasse.

« Ma fille Flora, reprit le patriarche, ainsi qu’on vous l’aura dit sans doute, monsieur Clennam, s’est mariée il y a plusieurs années. Elle a eu le malheur de perdre son mari après quelques mois de mariage. Elle est revenue demeurer chez moi. Elle sera charmée de vous revoir, si vous voulez bien me permettre de lui annoncer votre visite.

— Certainement, répondit Clennam. Je vous aurais même prié de le faire si vous n’aviez pas eu l’obligeance d’aller au-devant de mes désirs. »

Sur ce, M. Casby se leva dans ses chaussons de lisière, et, d’un pas lent et lourd (un vrai pas d’éléphant), se dirigea vers la porte.