Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/155

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

virgules, voyez papa ; dites-moi si papa n’est pas précisément ce qu’il était le jour de votre départ ? N’est-ce pas cruel et dénaturé de la part de papa, de rester ainsi un reproche vivant pour sa propre fille ? pour peu que cela continue, les gens qui ne nous connaissent pas finiront par me prendre pour la maman de papa !

— Il faudra bien du temps encore pour cela, répondit Arthur.

— Ô monsieur Clennam, le plus trompeur de tous les hommes, s’écria Flora, je vois déjà que vous n’avez pas perdu vos habitudes complimenteuses ; vous savez, lorsque vous faisiez semblant d’être si sentimentalement épris… du moins, non, ce n’est pas ce que je voulais dire, je… oh ! je ne sais pas ce que je veux dire ! »

Ici Flora se troubla, rit d’un petit air boudeur et le gratifia d’un de ses regards d’autrefois.

Le patriarche, qui venait de s’apercevoir que son rôle était de quitter la scène au plus vite, se leva et se dirigea vers la porte par laquelle Pancks l’avait précédé, pour héler son remorqueur. Ayant reçu une réponse de quelque petit dock éloigné, il se laissa immédiatement entraîner à la suite de son bateau loueur et disparut.

« Il ne faut pas songer à partir encore, poursuivit Flora… (Arthur avait regardé autour de lui à la recherche de son chapeau, dans un embarras assez visible et ne sachant trop que faire.) Il n’est pas possible que vous soyez assez méchant pour songer à partir déjà, Arthur… je veux dire monsieur Arthur… ou peut-être serait-il beaucoup plus convenable de vous appeler M. Clennam… mais je ne sais vraiment plus ce que je dis… sans donner un souvenir au bon vieux temps, à jamais passé ; pourtant, en y réfléchissant, je crois qu’il vaudrait sans doute mieux n’en pas parler : car il est fort probable que vous avez quelque engagement plus agréable que je ne voudrais contrarier pour rien au monde, quoiqu’il y ait eu un temps… mais voilà que je retombe dans ces folies. »

Était-il possible que Flora fût si babillarde à l’époque dont elle rappelait le souvenir ? Comment croire qu’il y eût quelque chose qui ressemblât à cette volubilité incohérente, dans les entretiens qui le fascinaient autrefois ?

« Et même je ne doute nullement, continua Flora avec une rapidité merveilleuse, bornant toujours sa ponctuation à un emploi très limité de virgules, que vous n’ayez épousé quelque dame chinoise ; vous avez habité si longtemps la Chine ! et, comme vous étiez dans les affaires, vous avez dû naturellement désirer d’étendre vos relations. Vous avez dû, c’est tout simple, demander la main d’une dame chinoise, et la dame a dû, c’est encore plus simple, accepter votre main et s’en trouver très heureuse ; j’espère seulement que vous n’avez pas épousé une de ces hérétiques qui adorent des pagodes…

— Je n’ai épousé personne, Flora, répondit Arthur souriant malgré lui.