Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/185

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— Ce que vous avez fait ? Vous êtes tombée sur moi.

— Si vous entendez par là que je vous ai adressé des remontrances…

— Ne me mettez pas dans la bouche des mots dont je ne me suis pas servi, interrompit M. Flintwinch, maintenant son expression figurée avec une obstination tenace et impénétrable, vous êtes tombée sur moi, voilà ce que je veux dire.

— Je vous ai adressé des remontrances, recommença Mme Clennam, parce que…

— Je ne veux pas de ça ! s’écria Jérémie. Vous êtes tombée sur moi.

— Je suis tombée sur vous, alors, homme obstiné que vous êtes (Jérémie ricana de l’avoir obligée à adopter sa phrase), parce que vous n’aviez pas besoin, ce matin, d’être si indiscret avec Arthur. J’ai le droit de m’en plaindre, c’est presque un abus de confiance. Vous n’aviez donc pas réfléchi…

— Je ne veux pas de ça ! interrompit de nouveau Jérémie, repoussant cette concession. J’avais mûrement réfléchi…

— Je vois qu’il faut que je vous laisse parler tout seul, si cela vous plaît, répliqua Mme Clennam, après un silence irrité. Il est inutile d’adresser la parole à un vieillard inconsidéré et opiniâtre, qui est décidé à ne rien écouter.

— Eh bien, je ne veux pas de ça non plus, répliqua Jérémie. Je ne suis nullement décidé à ne pas vous écouter. Je vous ai dit que j’avais réfléchi. Voulez-vous savoir pourquoi j’ai parlé comme je l’ai fait, sans avoir pour cela manqué de réflexion, vieille femme inconsidérée et opiniâtre ?

— Après tout, vous ne faites que me renvoyer mes propres paroles, répondit Mme Clennam s’efforçant de contenir son indignation. Oui, je vous écoute.

— Voici pourquoi alors. Parce que vous n’aviez pas disculpé son père à ses yeux, et que vous auriez dû le faire. Parce que, avant de vous monter la tête à propos de vous-même qui êtes…

— Arrêtez, Flintwinch ! s’écria Mme Clennam d’un ton plus sévère, vous pourriez aller trop loin. »

Le vieillard parut être du même avis. Il y eut un nouveau silence, et il avait changé de place, lorsqu’il reprit plus doucement :

« J’allais vous dire pourquoi. Parce que, avant de prendre votre propre défense, vous auriez dû prendre celle du père d’Arthur. Le père d’Arthur ! je ne l’aimais pas autrement, le père d’Arthur ! J’ai servi l’oncle du père d’Arthur dans cette maison, lorsque le père d’Arthur n’occupait pas ici une position beaucoup plus élevée que la mienne, lorsqu’il était plus pauvre que moi en argent de poche, et lorsque son oncle aurait tout aussi bien pu me choisir pour son héritier. Tandis qu’il mourait de faim dans la salle à manger, et moi dans la cuisine, il n’y avait guère d’autre différence dans nos positions respectives : il n’y avait qu’un petit casse-cou d’escalier entre