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LA PETITE DORRIT

quelques rares occasions (généralement vers l’heure tranquille qui précédait la coucher de sa maîtresse), lorsqu’elle s’élançait tout à coup de son coin obscur, le visage terrifié, et murmurant à l’oreille de M. Jérémie, occupé à lire le journal auprès de la petite table de Mme Clennam :

« Là, Jérémie ! écoute ! D’où vient ce bruit ? »

Alors le bruit, s’il y en avait jamais eu, ne se faisait plus entendre, et Jérémie lui disait en montrant les dents et en se tournant vers elle avec colère, comme s’il se lassait à la fin de ces paniques :

« Affery, ma vieille, laisse, ma chère, je vais t’en donner une dose, mais une dose !… Tu ne feras donc jamais que rêver ? »




CHAPITRE XVI.

La faiblesse de Personne.


Le temps étant arrivé d’aller renouveler connaissance avec la famille Meagles, Clennam, d’après une convention arrêtée entre lui et M. Meagles, dans l’enceinte même de la cour du Cœur-Saignant, tourna ses pas, un certain samedi, du côté de Twickenham, où M. Meagles habitait un cottage à lui appartenant. Comme il faisait beau et sec, et comme, après son long exil, toute route anglaise avait droit à son intérêt, il envoya sa valise par la voiture et partit à pied. Une pareille promenade était en elle-même une distraction nouvelle pour lui, et dont il avait rarement pu jouir à l’étranger.

Il alla par Fulham et Putney, rien que pour le plaisir de traverser la bruyère. Il faisait un temps superbe, et une fois sur le chemin de Twickenham, il avait déjà voyagé en imagination vers une foule de buts plus vaporeux et moins réels, qui n’avaient pas tardé à l’assiéger en route. Il n’est pas facile de se promener seul dans la campagne sans rêver à quelque chose, et Arthur avait dans l’esprit assez de châteaux en Espagne pour fournir à ses méditations jusqu’au bout du monde.

Il y avait d’abord la grave question à laquelle il songeait constamment.

Qu’allait-il faire désormais ? À quelle occupation allait-il se vouer et où devait-il la chercher ? Il était loin d’être riche, et chaque jour d’indécision et d’inaction rendait son patrimoine plus inquiétant pour lui. Dès qu’il commençait à songer aux moyens de l’augmenter et au placement qu’il en devait faire, l’idée que quelqu’un pourrait avoir à se plaindre de quelque spoliation lui