Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/20

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nouveau jour sur sa cause, ou pour adresser à son compagnon quelque remontrance irritée ; mais signor Cavalletto continuant tranquillement sa promenade avec une espèce de demi-trot grotesque et sans lever les yeux, l’autre en fut pour ses frais.

Au bout de quelque temps ils s’arrêtèrent tous les deux, au bruit d’une clef tournant dans une serrure. Un son de voix succéda au grincement de la clef, puis un bruit de pas se rapprocha, et le gardien de la prison monta lentement l’escalier, suivi d’un peloton de soldats.

« Allons, monsieur Rigaud, dit le geôlier, s’arrêtant un instant à la grille, ses clefs à la main, ayez la bonté de sortir.

— Je vais partir en grande cérémonie, à ce que je vois.

— Ma foi, si vous ne partiez pas comme ça, répondit le geôlier, vous pourriez bien partir en tant de morceaux qu’il deviendrait difficile de vous rassembler. Il y a une fameuse foule, monsieur Rigaud, et qui ne vous aime guère. »

Il disparut de devant la grille, fit tourner la clef dans la serrure d’une porte basse qui donnait dans un coin de la salle, et enleva la barre de fer qui la maintenait extérieurement.

« Allons, dit-il en l’ouvrant et en se montrant sur le seuil, sortez. »

Parmi les mille tons blancs qu’éclaire le soleil, il n’en existe aucun qui ressemble en rien à la pâleur qui couvrait en ce moment le visage de M. Rigaud. Jamais non plus aucune expression de la physionomie humaine n’a ressemblé le moins du monde à l’expression de ses traits, dont chaque petite ligne trahissait le battement de son cœur effrayé. On dit toujours : « pâle comme un mort, défait comme un mort. » Il y a pourtant une grande différence entre les deux états, car ils sont séparés par toute la profondeur de ce golfe profond qui existe entre la lutte terminée et le moment le plus désespéré du combat.

Il alluma une autre cigarette à celle de son compagnon, la plaça entre ses dents serrées, se couvrit la tête d’un chapeau de feutre mou à larges bords, rejeta de nouveau le coin de son manteau par-dessus son épaule, et sortit dans le corridor latéral sur lequel s’ouvrait la porte, sans plus s’occuper du signor Cavalletto. Quant à ce petit homme, il ne semblait avoir qu’une idée, qu’un désir, c’était de se rapprocher de la porte et de regarder au dehors. Il était absolument comme une bête sauvage qui s’approche de la grille entr’ouverte de sa cage, afin de contempler la liberté extérieure ; lui aussi, il passa ces quelques minutes à observer et à guetter, jusqu’à ce que la porte se fût refermée sur lui.

Un officier commandait l’escorte, un homme robuste, solide, d’un sang-froid imperturbable, qui tenait son épée nue à la main et fumait un cigare. Il donna des ordres laconiques à ses hommes, qui se formèrent autour de M. Rigaud, se mit à leur tête avec un air de suprême indifférence, en disant : « Marche ! » Et sur ce, tout le monde s’éloigna en faisant résonner l’escalier. La porte se re-