Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/205

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le regardait attentivement, suivant des yeux chaque pierre à mesure que son maître les lançait, n’attendant qu’un signal pour se jeter à leur poursuite dans la rivière. Le passeur arriva cependant sans que le chien reçût la permission désirée, et lorsque le bateau toucha la rive, son maître prit le terre-neuve par le collier et le fit entrer dans le canot.

« Pas ce matin, dit-il au quadrupède, vous ne pourriez pas vous présenter devant les dames en sortant de l’eau. Couchez-vous. »

Clennam suivit l’homme et le chien dans le bateau. Le chien obéit à l’ordre qu’il venait de recevoir. Le maître, les mains dans les poches, resta debout entre Clennam et le passeur. Le maître et le chien sautèrent lestement à terre dès que le bateau eut touché de l’autre côté, et s’éloignèrent. Clennam fut bien aise d’en être débarrassé.

L’horloge de l’église voisine sonnait l’heure du déjeuner comme il remontait le petit sentier par lequel on arrivait à la grille du jardin. Dès qu’il tira la sonnette, il entendit un chien aboyer de l’autre côté du mur.

« Tiens ! je n’avais pas entendu de chien hier soir, » pensa Clennam. La porte fut ouverte par une des servantes aux joues roses, et sur la pelouse il vit le terre-neuve et l’étranger.

« Mlle Minnie n’est pas encore descendue, messieurs, » dit la portière rougissante, tandis qu’ils entraient tous ensemble dans le jardin. Puis elle dit au maître du chien : « M. Clennam, monsieur, » et s’éloigna en courant.

« C’est assez drôle, M. Clennam, que nous nous soyons rencontrés tout à l’heure sans nous connaître, » dit l’étranger. Là-dessus le chien devint muet. « Permettez-moi de me présenter moi-même, Henry Gowan. Un joli endroit, et qui a extrêmement bonne mine ce matin ! »

Les manières étaient aisées et la voix agréable, mais cela n’empêcha pas Clennam de penser encore que, s’il n’avait pas formé cette résolution bien arrêtée de ne pas devenir amoureux de Chérie, il aurait éprouvé de l’antipathie pour Henry Gowan.

« Vous ne connaissez peut-être pas encore cette résidence ? dit ce Gowan, lorsque Clennam eut répondu par l’éloge de l’ermitage de Meagles.

— Très peu. J’y suis venu pour la première fois hier dans l’après-midi.

— Ah ! il va sans dire que vous ne le voyez pas dans son beau. Tout cela avait un aspect ravissant au printemps, avant leur dernier voyage. Je regrette que vous ne l’ayez pas vu alors. »

Sans cette diable de résolution, Clennam aurait volontiers envoyé l’étranger au fond du cratère de l’Etna, en échange de sa politesse.

« J’ai eu le plaisir de voir cette propriété sous bien des aspects depuis trois années, et… c’est un véritable paradis. »