Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/226

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

trée paternelle causa naturellement une certaine sensation ; et M. Chivery portant sa clef à son chapeau espéra (mais d’une façon très laconique) que M. Dorrit allait assez bien.

« Merci, Chivery ; très bien. Et vous-même ? »

M. Chivery répliqua : « Oh, moi, à merveille ! » En général, le guichetier, lorsqu’il était un peu grognon, ne répondait pas autrement, quand on lui demandait des nouvelles de sa santé.

« J’ai reçu la visite du jeune John aujourd’hui, Chivery. Et il avait l’air très pimpant, je vous assure. »

C’est ce que M. Chivery avait ouï dire. M. Chivery, néanmoins, devait avouer qu’il désirait que son jeune homme ne dépensât pas tant d’argent pour sa toilette. À quoi ça le menait-il ? Ça ne lui rapportait que des déboires et les déboires n’étaient déjà pas si rares, c’était une marchandise qu’on pouvait se procurer partout gratis.

« Quels déboires, Chivery ? demanda le doyen avec bienveillance.

— Rien, rien, répondit M. Chivery. N’importe. M. Frédéric s’en va ?

— Oui, Chivery, mon frère va se coucher. Il est fatigué et ne se sent pas très bien… Prends garde, Frédéric, prends garde. Bonsoir, mon cher Frédéric ! »

Donnant une main à son frère et portant l’autre à son chapeau graisseux pour saluer la société rassemblée dans la loge, Frédéric sortit d’un pas traînant par la porte que Chivery venait de lui ouvrir. Le doyen témoigna l’aimable sollicitude d’un être supérieur pour empêcher Frédéric de se faire mal.

« Soyez assez bon pour laisser la porte ouverte un instant, Chivery, que je lui voie seulement descendre le passage et les marches ! Prends garde, Frédéric ! (Il est si infirme !) Fais attention aux marches ! (Il est si distrait !) Regarde bien devant toi avant de traverser la rue, Frédéric ! (En vérité, je n’aime pas le voir errer ainsi en liberté, il risque tant de se faire écraser !) »

Après avoir ainsi parlé et avec une expression de visage qui annonçait tous ses doutes inquiets et toute son anxiété protectrice, il tourna les yeux vers la société réunie dans la loge, comme pour leur dire : N’est-ce pas que mon pauvre frère est bien à plaindre de ne pas être enfermé sous clef comme nous ? opinion qui parut assez du goût des assistants.

Mais William Dorrit ne l’accepta pas sans restriction, au contraire : « Non, dit-il, messieurs, non ; vous interprétez mal ma pensée. Mon frère Frédéric est fort cassé, sans doute, et peut-être serais-je plus tranquille si je le voyais logé derrière ces murs, à l’abri de tout danger. Mais n’oublions pas que, pour y supporter l’existence pendant un long séjour, il faut une certaine combinaison de qualités… je ne dirai pas de grandes qualités, mais de qualités… de qualités morales. Or, mon frère Frédéric possède-t-il cette réunion de qualités requises ? Messieurs, c’est un excellent homme, doux,