Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/248

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toujours baissés, cette autre avec ses écussons toujours en l’air, la maison où le visiteur vient, comme le percepteur en tournée, pour toucher un quart… d’idée et s’en retourne sans avoir rien trouvé que les quatre murs ; qui donc ne les a pas retrouvées en chair et en os, à table, dans quelque dîner ? La maison que personne ne veut louer et qu’on laisserait à bon marché, qui donc ne rencontre pas tout ça ? La maison d’apparat qui a été prise à long bail par le gentleman désappointé et qui ne lui convient pas du tout, qui donc ne s’est pas trouvé en vis-à-vis avec cette acquisition diabolique ?

Quant à Harley-Street, Cavendish-Square, ce beau quartier ne se contentait pas de savoir qu’il y avait là un M. et une Mme Merdle. Il y avait bien dans Harley-Street des intrus que cette rue s’obstinait à ne pas voir, mais elle se faisait un honneur de reconnaître et d’honorer pour ses hôtes M. et Mme Merdle. La Société tenait compte de M. et Mme Merdle. La Société leur avait donné patente : « Ce sont des gens à voir, » avait-elle dit.

M. Merdle était immensément riche, d’une hardiesse commerciale prodigieuse : un Midas moins les oreilles, qui transformait en or tout ce qu’il touchait. Il était de toutes les bonnes entreprises, depuis une affaire de banque jusqu’à une bâtisse. Il siégeait dans le Parlement, cela va sans dire. Il avait ses bureaux dans la Cité, bien entendu. Il était président de cette compagnie-ci, administrateur de celle-là, directeur de cette autre. Les hommes les plus influents avaient demandé à des auteurs de projets financiers : « Voyons, quels noms avez-vous ? Avez-vous Merdle ? » D’après une réponse négative, ils avaient ajouté : « Alors, pas d’affaires ; je vous souhaite bien le bonjour ! »

Il y avait déjà une quinzaine d’années que cet heureux grand homme avait fourni un nid de pourpre et d’or à l’abondante poitrine qui avait besoin de tant de place pour étaler à son aise son insensibilité ; ce n’était pas là une poitrine où un mari pût reposer sa tête fatiguée, mais c’était une fameuse poitrine pour y pendre des bijoux. M. Merdle avait besoin de quelque chose comme cela pour y pendre des bijoux ; il trouva cette poitrine-là bonne pour la chose et l’acheta. Storr et Mortimer, les joailliers à la mode, auraient eu à choisir une femme qu’ils se seraient sans doute mariés par le même principe de spéculation.

Comme toutes les autres spéculations de M. Merdle, celle-là tourna bien ; les bijoux produisirent autant d’effet que possible ; la poitrine étant reçue dans la Société et s’y montrant ornée de ses bijoux excita une admiration générale. Fort de l’approbation de la Société, M. Merdle fut satisfait ; c’était le plus désintéressé des hommes, il faisait tout pour la Société : ses gains immenses et ses soucis lui profitaient aussi peu que possible à lui-même.

Ou plutôt, on peut supposer qu’il ne lui manquait rien ; autrement, avec sa fortune illimitée, il se serait certainement procuré ce qu’il voulait ; mais son unique désir était de satisfaire autant