Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/272

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votre maman est très irritable, Arthur (Doyce et Clennam), sans cela je n’aurais jamais épousé M. Finching, et peut-être à cette heure je serais… Mais voilà que je recommence encore à dire des folies…

— C’est très obligeant de votre part, Flora, d’avoir pensé à me rendre ce petit service. »

La pauvre Flora répondit avec une sincérité toute naturelle, qui lui allait mieux que ses plus jeunes œillades, qu’elle était heureuse de voir qu’elle lui eût fait plaisir. Elle le dit avec tant de cœur, que Clennam aurait donné beaucoup pour retrouver la Flora d’autrefois, si elle pouvait se résoudre à dépouiller son masque de sirène.

« Je crois, Flora, dit-il, que l’occupation que vous pourrez donner à la petite Dorrit et la bienveillance que vous pourrez lui témoigner…

— Oui, et vous pouvez compter que je lui en témoignerai, interrompit vivement Flora.

— J’en suis sûr… lui seront très utiles et très nécessaires ; je ne me crois pas le droit de vous dire ce que je sais sur son compte, car on me l’a confié dans des circonstances qui m’obligent à garder le silence. Mais je prends à ce frêle petit être un intérêt, et j’ai pour elle un respect que je ne saurais exprimer. Sa vie a été une vie d’épreuves, de dévouement, de bonté simple et tranquille, plus que vous ne sauriez vous l’imaginer. Je ne puis songer à elle, encore moins parler d’elle sans me sentir ému. Que ce sentiment vous fasse deviner ce que je voudrais pouvoir vous dire et recommande cette jeune fille à votre amitié avec mes remerciements. »

Il tendit tout franchement encore la main à la pauvre Flora ; mais cette fois encore la pauvre Flora ne sut pas l’accepter tout franchement comme elle était offerte ; elle trouva sans doute que cette main donnée à cœur ouvert était trop peu de chose, et voulut, comme autrefois, l’assaisonner d’un peu d’intrigue et de mystère. À son grand ravissement et à la grande consternation de Clennam, elle la couvrit d’un coin de son châle avant de la prendre ; puis, levant les yeux vers l’entrée du bureau et apercevant deux personnes qui s’approchaient, elle cria, enchantée de cet incident romanesque : « Papa ! chut, Arthur, au nom du ciel ! » et regagna son siège d’un pas chancelant, imitant à merveille la démarche d’une vestale en flagrant délit, qui va se trouver mal.

Cependant le Patriarche voguait d’un air paterne, à la suite de Pancks, vers le bureau de Clennam ; Pancks lui ouvrit la porte, le remorqua jusqu’au milieu de la chambre, puis se mit à l’ancre dans un coin.

« J’ai appris de Flora, dit le Patriarche avec son sourire bénévole, qu’elle comptait vous faire une visite, et, comme je sortais, j’ai songé à venir aussi, à venir aussi. »

L’air de sagesse patriarcale qu’il donna à cette déclaration (qui n’avait rien de bien profond en elle-même), au moyen de ses yeux