Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/284

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femme très-sensée et très-ferme, mais extrêmement dure… elle était faite pour être la maman de l’homme au masque de fer.

— Mme Clennam a été très-bonne pour moi, remarqua la petite Dorrit.

— En vérité ? Je suis ravie de l’apprendre, car je tiens naturellement à avoir une meilleure opinion de la mère d’Arthur, bien que je ne puisse pas savoir ni deviner ce qu’elle pense de moi. Lorsque je me mets à bavarder comme une pie, elle est là à me regarder avec de grands yeux, comme la statue de la Destinée, assise dans une voiture à roulettes… Je suis fâchée de ce que je viens de dire… car enfin ce n’est pas sa faute si elle est paralytique.

— Où trouverai-je mon ouvrage, madame ? demanda la petite Dorrit, jetant autour d’elle un regard timide.

— Petite fée laborieuse que vous êtes, répondit Flora, ingurgitant une autre tasse de thé avec quelques cuillerées du stimulant prescrit par son médecin, cela ne presse pas le moins du monde, et il vaut mieux que nous commencions par ne rien nous cacher de ce qui regarde notre ami commun… (le mot d’ami est bien froid pour moi ; mais non, je ne voulais pas dire cela ; l’expression est très-convenable, au contraire…) au lieu de nous en tenir aux simples formalités d’usage et de rester impassibles (non pas vous, mais moi), comme ce petit garçon de Sparte, qui se laissait manger le cœur par un renard. Pardonnez-moi de rappeler ce souvenir classique, mais c’est que de tous les ennuyeux petits garçons qui viennent se fourrer partout, celui-là est bien le plus assommant. »

La petite Dorrit, devenue très-pâle, se rassit pour entendre la confidence de Mme Finching.

« Ne ferais-je pas aussi bien de travailler tout en écoutant ? demanda-t-elle ; ça ne m’empêcherait pas d’entendre, et j’aimerais mieux cela, si vous voulez bien le permettre. »

Il était si facile de voir qu’elle ne se sentait pas à l’aise sans son ouvrage, que Flora, après avoir répondu : « Bien ! ma chère, comme vous voudrez, » alla chercher un panier rempli de mouchoirs blancs. La petite Dorrit le posa à côté d’elle d’un air de contentement, tira son nécessaire de poche, enfila son aiguille et se mit à ourler.

« Quels doigts agiles ! dit Flora. Mais êtes-vous bien sûre de ne pas être malade ?

— Oh oui ! bien sûre. »

Flora posa les pieds sur le garde-cendres, dans une attitude commode pour faire une bonne et longue confidence. Elle partit au galop, hochant la tête, soupirant de la façon la plus démonstrative, haussant et abaissant ses sourcils, et regardant parfois, mais à de rares intervalles, le tranquille visage de la petite couturière penchée sur son ouvrage.

« Je dois commencer par vous dire, ma chère, mais il est très probable que vous le savez déjà, d’abord parce que j’y ai déjà fait de