Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/292

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Maggy était très-sensible aux affronts personnels et très-ingénieuse à en imaginer.

« Voilà-t-il pas maintenant que vous vous cachez la figure avec les mains par-dessus le marché ! poursuivit-elle. Si vous ne pouvez pas souffrir qu’une pauvre petite comme moi vous regarde, vous feriez mieux de le dire tout de suite, au lieu de vous enfermer comme ça derrière vos doigts pour navrer l’âme et fondre le cœur d’une pauvre enfant de dix ans !

— C’est parce que j’ai mal à la tête, Maggy,

— Eh bien, si vous pleurez pour vous faire du bien à la tête, petite mère, laissez-moi pleurer aussi. Il n’est pas juste que vous pleuriez à vous toute seule, répondit Maggy d’un ton de reproche ; on partage ses larmes comme autre chose quand on est pas gourmande. »

Et, sans attendre la permission demandée, Maggy se mit à en prendre sa part en pleurant comme un veau.

Elle eut beaucoup de peine à se décider à descendre pour présenter les excuses de la petite Dorrit ; mais la promesse d’une histoire (elle avait toujours aimé les contes à la folie), si elle s’appliquait à exécuter sa commission soigneusement et ne remontait qu’au bout d’une heure, jointe à l’idée qu’elle allait retrouver sa bonne humeur au bas de l’escalier, où elle l’avait oubliée, finit par l’emporter. Elle partit donc, répétant son message tout le long du chemin afin de se le rappeler, et revint à l’heure indiquée.

« Il est joliment fâché, je vous en réponds, dit-elle alors, et il voulait envoyer chercher un médecin. Et il doit revenir demain, et je crois qu’il ne dormira pas bien ce soir à cause de votre mal de tête, petite mère. Eh mais ! Est-ce que vous n’avez pas pleuré ?

— Un peu, Maggy.

— Oh ! Un peu !

— Mais c’est fini maintenant, fini pour tout de bon. Maggy, mon mal de tête est presque passé et je me sens rafraîchie et beaucoup mieux. Je suis très-contente de n’être pas descendue. »

La grosse enfant, les yeux écarquillés, l’embrassa tendrement ; puis lui ayant lissé les cheveux et bassiné le front et les yeux avec de l’eau fraîche (dans ces occasions ses mains maladroites devenaient presque habiles), elle la serra de nouveau dans ses bras, parut enchantée de lui voir meilleure mine et l’installa dans sa chaise auprès de la croisée. Enfin, avec des efforts apoplectiques parfaitement inutiles, elle amena tout contre la chaise la malle qui lui servait de siège lorsqu’il s’agissait d’écouter un conte, s’assit dessus, prit ses deux genoux dans ses bras et dit d’un ton qui annonçait un appétit vorace pour les histoires et avec des yeux plus arrondis que jamais :

« Allons, petite mère, donnez-m’en une bonne.

— Sur quel sujet, Maggy ?

— Oh ! mettez-y une princesse, répliqua Maggy, une vraie princesse,