Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/316

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pourtant, dans notre famille, en fait de peintres, nous n’avons jamais compté que des amateurs, et c’est une faiblesse bien pardonnable de… »

Tandis que Mme Gowan, au lieu d’achever sa phrase, poussait un profond soupir, Clennam, quelque résolu qu’il fût à rester magnanime, ne put s’empêcher de penser qu’il n’y avait pas le moindre danger, pour le moment, de voir un véritable artiste répandre un nouvel éclat sur le nom illustre des Gowan.

« Henry, continua la mère, est volontaire et entêté ; or, comme ces Mickles font naturellement tout au monde pour l’accaparer, il me reste fort peu d’espoir, M. Clennam, de le voir rompre avec eux. Cette petite Miggles n’aura qu’une faible dot, je le crains ; Henry aurait pu trouver beaucoup mieux. En un mot, il n’y a rien pour compenser l’inégalité d’une pareille alliance. Enfin, il n’en fait qu’à sa tête ; et si d’ici à quelque temps je ne vois aucune chance de rupture, il faudra bien me résigner et faire contre fortune bon cœur en acceptant ces gens-là. Je vous suis fort obligée des renseignements que vous m’avez donnés. »

Elle haussa de nouveau les épaules d’un air résigné, et Clennam salua avec la même roideur que la première fois. Puis, le visage animé d’une rougeur inquiète et avec un léger embarras, il répondit, parlant plus bas qu’il ne l’avait fait jusqu’alors :

« Madame Gowan, je sais à peine comment m’acquitter de ce que je regarde comme un devoir. J’ose donc vous prier de vouloir bien m’excuser si j’essaye de le remplir. Il me semble que vous commettez une erreur, une très-grande erreur (si je puis parler ainsi), qui demande à être rectifiée. Vous supposez que M. Meagles et sa famille font tout au monde… Je crois que c’est là ce que vous avez dit ?…

— Tout au monde ? répéta Mme Gowan, regardant son interlocuteur avec une calme obstination.

— Pour accaparer M. Henry Gowan ? »

La dame fit un signe de tête affirmatif.

« Or, cela est si peu vrai, que je sais que l’idée de cette union rend M. Meagles fort malheureux ; je sais qu’il a soulevé tous les obstacles raisonnables qu’il a pu, dans l’espoir d’amener une rupture. »

Mme Gowan ferma son grand éventail vert, donna une petite tape sur le bras d’Arthur, puis une autre petite tape sur ses propres lèvres animées d’un sourire enjoué, et répliqua :

« Justement. C’est ce que je veux dire. »

Arthur chercha dans les traits de Mme Gowan l’explication de ces paroles.

« Parlez-vous sérieusement, monsieur Clennam ? Vous ne comprenez donc pas ? »

Arthur ne comprenait pas, et il l’avoua.

« Voyons, est-ce que je ne connais pas mon fils ? est-ce que je ne sais pas que c’est là le meilleur moyen de le retenir, ajouta