Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/341

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— Pourquoi vient-il vous voir ici ?

— Je n’en sais rien, madame, répondit la petite Dorrit avec une entière franchise.

— Mais vous savez que c’est pour vous voir qu’il y vient ?

— Je l’ai bien pensé ; mais je ne vois pas du tout pourquoi il viendrait ici ou ailleurs pour me voir. »

Mme Clennam, les yeux fixés sur le parquet, demeura aussi absorbée dans sa rêverie qu’elle l’avait été dans la contemplation de la jeune fille, dont maintenant elle semblait oublier la présence. Il s’écoula quelques minutes avant qu’elle en sortît pour reprendre l’air de tranquillité endurcie qui lui était habituel.

Cependant la petite Dorrit avait attendu pour partir parce qu’elle avait craint de déranger Mme Clennam. Elle s’aventura alors à quitter la place où elle s’était tenue immobile depuis qu’elle s’était levée, et pour passer doucement de l’autre côté du fauteuil à roulettes. Là, elle se pencha pour dire : « Bonsoir, madame. »

La mère d’Arthur avança la main et la posa sur le bras de la jeune fille. La petite Dorrit, troublée par ce geste inattendu, se tint immobile, tremblant un peu. Peut-être se rappelait-elle certain passage de l’histoire de la princesse et de la petite femme mignonne.

« Dites-moi, petite Dorrit, avez-vous beaucoup d’amis ? demanda Mme Clennam.

— Non, madame, j’en ai fort peu. Après vous, je n’ai pas d’autres amis que Mlle Flora et un autre.

— Vous voulez parler de cet homme ? dit Mme Clennam, désignant encore la porte avec son doigt étendu.

— Oh non ! madame.

— Un de ses amis à lui, alors ?

— Non, madame. (La petite Dorrit secoua la tête d’un air très-sérieux.) Oh non ! Ce n’est personne qui lui ressemble ou qui ait rien de commun avec lui.

— Allons ! répondit Mme Clennam, presque souriante, cela ne me regarde pas. Je vous adresse cette question, parce que je m’intéresse à vous ; et aussi parce que je crois que j’ai été votre amie avant que vous en eussiez une autre au monde. N’est-il pas vrai ?

— Oui, madame ; oui vraiment. Je suis venue chez vous bien des jours où, sans vous et sans l’ouvrage que vous me donniez, nous aurions manqué de tout.

Nous ? répéta Mme Clennam, regardant la montre qui avait appartenu à son mari et qui était toujours posée sur sa table. Combien donc êtes-vous ?

— Il ne reste plus que père et moi maintenant. Je veux dire, qu’il n’y a plus que père et moi à entretenir régulièrement avec ce que je gagne.

— Est-ce que vous avez eu à endurer beaucoup de privations, vous et votre père, et les autres membres de votre famille, quels qu’ils soient ? demanda Mme Clennam, parlant avec