Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/350

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— Distingué ! Je me moque bien de ça ! s’écria M. Blandois avec un geste plein de condescendance. Faites-moi l’honneur de me conduire à cet hôtel et de m’y présenter (si ce n’est pas trop vous importuner) ; je vous en serai infiniment obligé. »

Sur ce, M. Flintwinch alla chercher son chapeau et éclaira encore une fois le visiteur à travers le vestibule. Tandis qu’il posait le chandelier sur une tablette, où les sombres et antiques panneaux de l’antichambre faisaient l’office d’éteignoir, il eut l’idée de monter dire à la malade qu’il serait de retour dans cinq minutes.

« Faites-moi le plaisir, dit alors le visiteur, de remettre en même temps ma carte à Mme Clennam, et soyez assez bon pour ajouter que je serais heureux de me présenter chez elle, pour lui offrir mes compliments personnels et mes excuses du dérangement que j’ai causé dans cette tranquille demeure, si elle veut bien endurer pendant quelques minutes la présence d’un étranger, dès que cet étranger mouillé aura eu le temps de changer d’habits et de se restaurer. »

Jérémie se dépêcha autant qu’il put et dit en revenant ;

« Elle sera heureuse de vous recevoir, monsieur ; mais, sachant que la chambre d’une malade n’est pas bien attrayante, elle m’a chargé de vous dire qu’elle vous dispenserait de tenir votre promesse, dans le cas où vous y renonceriez.

— Y renoncer ! répliqua le galant Blandois, ce serait manquer aux égards dus à une dame ; manquer aux égards dus à une dame, ce serait se montrer peu chevaleresque envers le sexe, et le dévouement au sexe est dans mon caractère. »

Après s’être exprimé en ces termes, il jeta par-dessus son épaule le bout de son manteau qui avait traîné dans le ruisseau et accompagna M. Flintwinch jusqu’à la taverne, prenant en route un commissionnaire qui l’attendait dans la rue avec son portemanteau.

La taverne était tenue sur un pied fort modeste et l’affabilité dont M. Blandois fit preuve avait au contraire tant de grandeur qu’elle eut peine à tenir dans le cabinet situé derrière le comptoir, où il fut reçu par l’hôtesse et ses deux filles ; elle se trouva même gênée dans l’étroite salle boisée de lambris, avec un jeu de galets à l’extrémité, qu’on lui proposa en premier lieu ; elle inonda (c’est bien le mot) le petit salon de famille qu’on finit par lui céder. Là, en toilette de rechange et en linge parfumé, les cheveux pommadés et lissés, une grosse bague à chaque petit doigt et une massive chaîne d’or fort en vue, M. Blandois attendant son dîner, étendu sur son siège, les genoux relevés sur la banquette de la croisée, était tout le portrait, à part la richesse actuelle du cadre, le portrait étonnant et sinistre de ressemblance d’un certain M. Rigaud qui, jadis, avait attendu son déjeuner dans une ignoble prison de Marseille, accroupi sur le rebord de la croisée et se cramponnant aux barreaux.