Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/357

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toujours dans l’exagération, bien qu’il n’outrât parfois les choses que de l’épaisseur d’un cheveu), Jérémie soupçonna vaguement que M. Blandois pouvait bien ne pas valoir grand’chose.

« Monsieur, dit alors Mme Clennam, je me suis laissée aller à vous parler de mes infirmités, et vous aurez sans doute vu là une preuve de l’égoïsme d’une vieille malade, bien que ce soit seulement votre réflexion qui m’a poussée par occasion sur ce terrain. Puisque vous avez été assez bon pour songer à me faire une visite, soyez assez bon aussi pour m’excuser de vous avoir tant parlé de moi… Pas de compliments, je vous prie (il était clair que M. Blandois allait lui en adresser un)… M. Flintwinch sera heureux de vous rendre tous les services qui sont en son pouvoir, et je souhaite que votre séjour dans cette ville soit agréable. »

M. Blandois la remercia et, avec sa galanterie habituelle, lui envoya plusieurs baisers du bout des doigts.

« Ah ! voilà une chambre antique, remarqua-t-il avec une légèreté affectée en se retournant lorsqu’il fut arrivé près de la porte. Votre conversation, madame, m’a si vivement intéressé que je n’y avais pas fait attention tout d’abord. Mais vraiment cette chambre a un cachet bien franc et bien marqué du bon vieux temps.

— C’est que la maison elle-même est tout à fait antique, répondit Mme Clennam avec son sourire glacé. Malgré son peu de prétention, c’est une franche antiquité.

— Ma foi ! s’écria le visiteur, si M. Flintwinch était assez bon pour me faire voir les autres pièces en sortant, il m’obligerait infiniment. J’ai un faible pour les vieilles maisons. J’ai un grand nombre de faibles, hélas ! mais celui-là surtout. J’adore et j’étudie le pittoresque dans toutes ses branches ; on m’a dit que j’étais pittoresque moi-même. Il n’y a aucun mérite à être pittoresque…. J’espère que j’ai d’autres qualités qui valent mieux. Mais il n’est pas impossible non plus que je sois pittoresque. C’est de la sympathie !

— Je vous préviens, monsieur Blandois, que vous trouverez l’objet de votre sympathie très-sombre et très-nu, dit Flintwinch, s’armant d’un chandelier. Cela ne vaut pas la peine d’être vu. »

Mais M. Blandois, donnant à Jérémie une tape amicale dans le dos, se contenta de rire ; puis, après s’être retourné pour adresser un dernier baiser à la malade, il s’éloigna avec son guide.

« Vous ne tenez pas à monter en haut ? demanda M. Flintwinch, s’arrêtant sur le palier.

— Au contraire, monsieur Flintwinch ; si ce n’est pas abuser de votre complaisance, j’en serai ravi ! »

M. Flintwinch, reprenant sa marche oblique, monta l’escalier, suivi de près par M. Blandois. Ils entrèrent dans la grande chambre à coucher mansardée qu’Arthur avait occupée le soir de son arrivée.

« Là, monsieur Blandois ! s’écria Jérémie en la faisant voir. Je souhaite que vous vous trouviez payé de vos peines d’être monté si haut pour voir ça. Mais, pour ma part, je suis d’un autre avis. »