Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/371

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plus de moi. Je n’y pense déjà plus, mon amour, plus du tout. Remonte chez toi, Amy ; va effacer les traces de tes larmes, et prends un air aimable pour recevoir M. Clennam.

— J’aimerais mieux rester dans ma chambre, père, répliqua la petite Dorrit, qui eut plus de peine encore à se calmer. J’aimerais beaucoup mieux ne pas voir M. Clennam.

— Oh ! fi donc, fi donc, ma chère ! c’est de l’enfantillage. M. Clennam est un homme très comme il faut… très comme il faut, un peu réservé parfois, mais extrêmement comme il faut, je dois le reconnaître. Pour rien au monde je ne voudrais que tu ne fusses pas ici pour le recevoir, ma chère… cette après-midi surtout. Ainsi donc, va te rafraîchir le visage, Amy ; va ma bonne fille. »

La petite Dorrit, en fille soumise, se leva pour obéir à cet ordre. Elle s’arrêta avant de s’éloigner, pour donner à sa sœur un baiser de réconciliation. Sur ce, la danseuse, qui, l’esprit bourrelé de remords, avait renoncé pour le moment au souhait nécrologique dans lequel elle avait coutume de chercher des consolations, conçut et exécuta la brillante idée de souhaiter que le vieux Naudy fût plutôt mort à sa place, au lieu de venir comme un dégoûtant, ennuyeux et méchant bonhomme, créer des querelles entre deux sœurs.

Le Doyen, qui fredonnait un air et portait sa calotte de velours un peu de côté, tant il était de bonne humeur, descendit dans la cour, où il trouva le vieux Naudy debout auprès de la grille, son chapeau à la main, dans l’attitude qu’il avait conservée depuis le départ de la petite Dorrit.

« Allons, Naudy ! dit le Père des détenus avec une suavité extrême. Pourquoi restez-vous là, Naudy ; vous savez le chemin. Pourquoi ne montez-vous pas ? (Le Doyen poussa la condescendance jusqu’à tendre la main à son protégé en ajoutant :) Comment allez-vous, Naudy ? Nous nous portons assez bien, n’est-ce pas ? »

Le vieux gazouilleur répondit :

« Merci, honoré monsieur ; je n’en vais que mieux depuis que j’ai le plaisir de voir Votre Honneur. »

Tandis qu’ils remontaient vers le logis de M. Dorrit, le Doyen présenta le vieillard à un détenu de date récente :

« Une vieille connaissance à moi, monsieur ; un vieux protégé… Couvrez-vous, mon bon Naudy ; mettez votre chapeau, » ajouta-t-il ensuite avec beaucoup d’affabilité.

Son patronage ne s’arrêta pas là ; car il chargea Maggy de faire les apprêts du thé et d’acheter des gâteaux, du beurre frais, des œufs, du jambon froid et des crevettes, lui remettant à cet effet un billet de banque de dix livres sterling, avec force recommandations d’avoir grand soin de compter la monnaie. Ces préparatifs étaient presque terminés, et la petite Dorrit était redescendue avec son ouvrage, lorsque Clennam se présenta. Le Doyen fit à son hôte un accueil des plus gracieux et l’invita à partager leur repas.

« Amy, ma chérie, tu connais M. Clennam mieux que je n’ai le