Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/373

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Une autre fois il lui demanda :

« Voulez-vous des crevettes, Naudy ? »

Et comme Naudy ne répondit pas tout de suite.

« Il entend très-mal, observa-t-il. Il sera bientôt tout à fait sourd. »

Plus tard encore, il lui dit :

« Vous promenez-vous beaucoup, Naudy, entre ces grands murs, dans la cour de votre endroit ?

— Non, monsieur, non ; cela ne me tente pas beaucoup.

— Non ? Cela ne m’étonne pas du tout ; c’est très-naturel. »

Puis en confidence à ses voisins :

« Ses jambes ne sont plus bien solides. »

Puis il demanda à son protégé (avec un ton obligeant qui annonçait qu’il croyait devoir lui demander quelque chose, quand ce ne serait que pour empêcher le vieillard de s’endormir), quel âge avait le plus jeune des petits Plornish.

« Mon petit-fils Jean-Édouard ? dit le vieux protégé, posant lentement son couteau et sa fourchette afin de réfléchir. Vous voulez savoir son âge ?… Voyons un peu…  »

Le Doyen porta la main à son front en disant :

« Il perd la mémoire. »

« Quel âge a Jean-Édouard, monsieur ? Ma foi, j’oublie. Je ne pourrais pas vous dire, maintenant, s’il a deux ans et deux mois ou deux ans et cinq mois ; c’est l’un ou l’autre.

— Ne vous cassez pas la tête à chercher plus longtemps, » répondit le Doyen avec une extrême indulgence. (Ses facultés s’en vont, c’est clair… Ce vieillard se rouille à mener la vie qu’il mène !)

Plus les infirmités qu’il croyait découvrir dans son protégé étaient nombreuses, plus il paraissait s’intéresser à lui ; et lorsqu’il quitta son fauteuil, après le thé, pour lui dire adieu, il se tint aussi droit et se donna un air aussi robuste que possible.

« Naudy, ceci ne s’appelle pas un shilling, vous savez, dit-il en lui en mettant un dans la main, cela s’appelle du tabac.

— Honoré monsieur, je vous remercie ; cela me servira à acheter du tabac et pas à autre chose. Mes remerciements et mes respects à Mlle Amy et à Mlle Fanny. Je vous souhaite le bonsoir, monsieur Clennam.

— Eh ! dites-donc, mon vieux Naudy, n’allez pas nous oublier, ajouta le Doyen. Il faut revenir nous voir lorsque vous aurez une après-midi à vous. Il ne faut plus sortir sans venir nous voir, ou nous serions jaloux. Bonsoir, Naudy. Prenez bien garde en descendant l’escalier, Naudy, car les marches en sont un peu usées et inégales. »

Le Père des détenus se tint sur le palier, regardant descendre le vieillard ; puis, lorsqu’il fut rentré dans sa chambre, il remarqua avec une certaine satisfaction solennelle :

« C’est un triste spectacle que celui-là, monsieur Clennam, bien