Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/389

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Car le perroquet, planant sur les deux dames du haut de sa cage, semblant présider à leur conversation, comme aurait pu le faire un juge sur son tribunal (il ressemblait assez à un magistrat), venait de clore par un cri perçant cet exposé de la situation.

« Il est des cas, reprit Mme Merdle, imprimant une courbe gracieuse du petit doigt de sa main favorite pour rendre ses remarques plus précises au moyen de ce geste délicat ; il se présente des cas où un homme n’est ni jeune ni élégant, mais possède déjà une grande fortune et un grand train de maison. Nous ne parlons pas de ceux-là. Dans ces cas-là… »

Mme Merdle haussa ses épaules de neige et porta la main à l’étalage de bijouterie, réprimant un petit accès de toux, comme pour ajouter : « Un homme cherche quelque chose dans mon genre. » Alors le perroquet poussa encore un cri, et Mme Merdle le regarda à travers son lorgnon, en disant : « Taisez-vous donc ! »

« Mais lorsqu’il s’agit d’un jeune homme, poursuivit cette dame… et vous savez ce que je veux dire par jeune homme, ma très-chère ; j’entends quelqu’un qui a encore ses parents et dont la position n’est pas faite… il est tenu de faire un mariage qui le place dans une meilleure situation vis-à-vis de la société ; car s’il était assez sot pour agir autrement, la société ne saurait le lui pardonner… Ce que je vous dis là semble affreusement mondain, ajouta Mme Merdle retombant nonchalamment sur les coussins de son nid et lorgnant son interlocutrice, n’est-ce pas ?

— Mais c’est vrai, remarqua Mme Gowan d’un ton de haute moralité.

— Ma chère, c’est incontestable, répondit Mme Merdle, car la société s’est prononcée là-dessus, et il n’y a plus à y revenir. Si nous avions des mœurs plus primitives ; si nous habitions sous des feuilles de palmier ; si, au lieu d’être obligées de nous occuper de nos comptes de banque, nous pouvions garder des vaches, des brebis et autres bêtes (ce qui serait délicieux ; ma chère, vous ne sauriez croire combien j’ai des goûts champêtres !) ; très-bien. Mais nous ne vivons pas sous des feuilles de palmier et nous ne gardons ni vaches, ni brebis, ni autres bêtes. Je m’épuise quelquefois à tâcher de faire comprendre cette différence à Edmond Sparkler. »

Mme Gowan, regardant par-dessus son éventail vert lorsqu’on prononça le nom de ce jeune homme, répliqua en ces termes :

« Vous connaissez, ma très-chère, la situation déplorable du pays… ces malheureuses concessions de John Mollusque !… et par conséquent, vous savez ce qui fait que je suis aussi pauvre que…

— Qu’un rat d’église ? suggéra Mme Merdle en souriant.

— Je pensais à un autre pauvre non moins proverbial, et qui appartient également à l’Église… Job, répondit Mme Gowan ; mais le vôtre me va tout aussi bien. Je chercherais en vain à cacher qu’il y a une très-grande différence entre la position de votre fils et celle de Henry… Mon fils a beaucoup de talent…