Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/49

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désirer, et Mme Jérémie le descendit sans aucune de ces déviations qui sont l’essence d’un rêve. Elle ne sauta pas de haut en bas, elle descendit de marche en marche, se dirigeant au moyen de la rampe, attendu que la chandelle venait de s’éteindre. Dans un des coins du vestibule, derrière la porte d’entrée, il y avait une petite chambre d’attente, semblable à l’ouverture d’un puits, et dont l’étroite et longue fenêtre avait l’air d’une crevasse.

Une lumière brillait dans ce cabinet dont on ne se servait jamais.

Mme Jérémie traversa l’antichambre, dont les dalles glacèrent ses pieds sans bas, et jeta un coup d’œil à travers les gonds rouillés de la porte entr’ouverte. Elle s’attendait à trouver son époux endormi ou évanoui ; mais non, il était là, tranquillement assis auprès d’une table, tout éveillé, et aussi bien portant que jamais. « Mais quoi… Est-il possible ?… Le Seigneur ait pitié de moi ! » Mme Jérémie murmura quelques exclamations de ce genre et se sentit tout étourdie.

Car M. Flintwinch éveillé observait M. Flintwinch endormi. Il était assis d’un côté de la petite table, fixant un regard scrutateur sur son image qui dormait en face de lui, le menton sur sa poitrine, avec force ronflements. Le Flintwinch éveillé avait le visage tourné en plein du côté de sa femme ; le Flintwinch endormi se présentait de profil. Le Flintwinch éveillé était le vieil original ; le Flintwinch endormi n’était que la copie. Tout étourdie qu’elle pût être, Mme Jérémie saisit cette différence, comme elle eût pu distinguer celle qui existe entre un objet matériel sensible au contact, et la réflexion de cet objet dans une glace.

Si elle eût pu douter un seul instant que le Jérémie éveillé fût son Jérémie à elle, l’impatience naturelle de son cher époux eût dissipé toute incertitude à cet égard. Il chercha autour de lui quelque arme offensive, saisit les mouchettes, et, avant de s’en servir pour enlever le chou-fleur qui couronnait la mèche de la chandelle, il porta une botte au dormeur, comme s’il eût voulu le percer de part en part.

« Qui est là ? Qu’est-ce qu’il y a ? » s’écria le dormeur, s’éveillant en sursaut.

Jérémie fit avec les mouchettes un geste qui annonçait qu’il les lui eût volontiers fait avaler pour lui rentrer les paroles dans le gosier. Le camarade, revenu à lui, ajouta en se frottant les yeux :

« Je ne savais plus où j’étais.

— Savez-vous que vous avez dormi deux heures ? grommela Jérémie, regardant à sa montre ; et vous disiez qu’un petit somme suffirait pour vous reposer !

— Eh bien ! j’ai fait un petit somme, répondit Jérémie numéro deux.

— Deux heures et demie du matin ! marmotta le vrai Jérémie. Où est votre chapeau ? où est votre pardessus ? où est la boîte ?