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LA PETITE DORRIT


« Ah çà ! Affery, femme Affery ! dit M. Jérémie Flintwinch. Tu es donc somnambule ? réveille-toi ! Qu’est-ce qui te prend donc ?

— Ce qui me prend Jérémie ! répondit Mme Jérémie d’une voix haletante, et roulant des yeux effarés.

— Ah çà ! Affery, femme Affery ! tu t’es donc levée tout endormie, ma chère ? Je monte me coucher après m’être endormi moi-même en bas, et je te trouve en peignoir, en proie à un cauchemar ! Affery femme, continua-t-il avec un sourire amical sur son visage expressif, si jamais tu t’avises de faire encore un rêve pareil, ça me prouvera que tu as besoin de quelque médecine. Et je t’en donnerai, ma vieille une telle dose, vois-tu ! »

Mme Jérémie le remercia et se glissa dans son lit.






CHAPITRE V.

Affaires de famille.


Le lendemain matin, comme les horloges de la Cité sonnaient neuf heures, Mme Clennam, assise dans son fauteuil, fut roulée vers le grand secrétaire par Jérémie Flintwinch, qui avait toujours l’air d’un pendu ressuscité. Lorsque, après avoir tourné la clef dans la serrure et ouvert le secrétaire, elle se fut établie devant le bureau, Jérémie se retira, peut-être pour aller se pendre d’une manière plus efficace, et M. Clennam parut.

« Allez-vous un peu mieux ce matin, mère ? »

Elle secoua la tête avec ce même air de lugubre satisfaction qu’elle avait montré la veille au soir en parlant du temps.

« Je n’irai jamais mieux. Heureusement pour moi, Arthur, je le sais et j’y suis résignée, » dit-elle.

Tandis qu’elle restait là, les mains posées sur le pupitre du grand bureau qui se dressait devant elle, son fils trouva, et ce n’était pas la première fois, qu’elle avait l’air de jouer sur l’orgue muet d’une église, et vint s’asseoir auprès du secrétaire.

Elle ouvrit un tiroir ou deux, jeta un coup d’œil sur quelques papiers, puis les remit à leur place. Sa physionomie sévère ne présentait, dans ses fibres inflexibles, aucun fil d’Ariane qui pût guider l’explorateur à travers le sombre labyrinthe de sa pensée.

« Puis-je vous parler d’affaires, mère ? Êtes-vous disposée à vous en occuper ?

— Si j’y suis disposée, Arthur ? Ne serait-ce pas à moi de vous adresser cette question ? Voilà un an et plus que votre père est mort. Depuis cette époque, je suis à votre disposition, à attendre votre bon plaisir.