Page:Dickens - La Petite Dorrit - Tome 1.djvu/99

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« En effet, monsieur Dorrit. Je compte voir votre nièce chez vous ce matin.

— Oh ! répondit le vieillard d’un ton rêveur, la présence de mon frère vous aurait gêné, c’est juste. Voulez-vous monter et attendre chez moi ?

— Merci. »

Se retournant avec la même lenteur qu’il mettait à tourner dans son esprit tout ce qu’il pouvait dire ou entendre, le vieillard monta l’étroit escalier afin de montrer le chemin. La maison manquait d’air et on y respirait des odeurs malsaines. Les petites fenêtres de cet escalier donnaient sur les croisées de derrière d’habitations non moins malsaines que la demeure du vieux Dorrit, et de ces croisées sortaient des perches ou des cordes où pendaient des loques peu agréables à voir ; comme si les locataires se fussent livrés à la pêche au linge, et n’eussent pris que de misérable blanchaille qui ne valait pas la peine d’être décrochée. Dans une mansarde donnant sur la cour, chambre nauséabonde, ornée d’un lit pouvant se transformer en commode et auquel une main pressée avait si récemment donné cette dernière forme, que les couvertures bouillonnaient à la surface comme l’eau qui soulève le haut d’une marmite, on voyait, sur une table à pieds inégaux, un déjeuner à moitié terminé, qui se composait de café et de rôties pour deux. Il ne s’y trouvait personne. Le vieillard, après avoir réfléchi, marmotta que Fanny s’était sauvée, et se dirigea vers la chambre voisine pour la ramener. Le visiteur, remarquant qu’on retenait la porte en dedans et qu’on s’était écrié : « N’ouvre donc pas, nigaud ! » lorsque l’oncle avait voulu entrer, supposa que la demoiselle était en négligé du matin, hypothèse confirmée bientôt par un coup d’œil indiscret qui lui fit entrevoir des bas rabattus sur les talons et un jupon de flanelle mal attaché. L’oncle, toujours également indécis, revint en traînant la jambe, s’assit devant la cheminée et commença à se chauffer les mains, sans pourtant qu’il fît froid, ou qu’il songeât le moins du monde à l’état de l’atmosphère.

« Que pensez-vous de mon frère, monsieur ? demanda-t-il, lorsqu’au bout de quelque temps il se fut aperçu de ce qu’il faisait et qu’il se fut arrêté pour lever le bras et atteindre l’étui du cornet à piston qui se trouvait sur la cheminée.

— J’ai été bien aise, dit Arthur assez embarrassé, car il songeait en ce moment à celui des deux frères qui venait de l’interroger, de le trouver si bien portant et si peu abattu.

— Ah ! marmotta le vieillard, si peu abattu ; oui, oui, oui, oui ! »

Arthur se demandait quel besoin son hôte pouvait avoir de son cornet à piston ; mais celui-ci n’en avait pas besoin du tout. Il finit par découvrir que cet instrument n’était pas le petit cornet de tabac (qui se trouvait aussi sur la cheminée), le remit en place, chercha sa tabatière de papier et se réconforta en humant une prise. Il la dégustait avec la même faiblesse, la même hésitation, la même