Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/13

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

« Maintenant, écoute-moi bien, c’est toi qui vas décider si tu dois vivre. Tu sais ce que c’est qu’une lime ?

— Oui, monsieur…

— Tu sais aussi ce que c’est que des vivres ?

— Oui, monsieur… »

Après chaque question, il me secouait un peu plus fort, comme pour me donner une idée plus sensible de mon abandon et du danger que je courais.

« Tu me trouveras une lime… »

Il me secouait.

« Et tu me trouveras des vivres… »

Il me secouait encore.

« Tu m’apporteras ces deux choses… »

Il me secouait plus fort.

« Ou j’aurai ton cœur et ton foie… »

Et il me secouait toujours.

J’étais mortellement effrayé et si étourdi, que je me cramponnai à lui en disant :

« Si vous vouliez bien ne pas tant me secouer, monsieur, peut-être n’aurais-je pas mal au cœur, et peut-être entendrais-je mieux… »

Il me donna une secousse si terrible, qu’il me sembla voir danser le coq sur son clocher. Alors il me soutint par les bras, dans une position verticale, sur le bloc de pierre, puis il continua en ces termes effrayants :

« Tu m’apporteras demain matin, à la première heure, une lime et des vivres. Tu m’apporteras le tout dans la vieille Batterie là-bas. Tu auras soin de ne pas dire un mot, de ne pas faire un signe qui puisse faire penser que tu m’as vu, ou que tu as vu quelque autre personne ; à ces conditions, on te laissera vivre. Si tu manques à cette promesse en quelque manière que ce soit, ton cœur et ton foie te seront arrachés, pour être