Page:Dickens - Les Grandes Espérances, Hachette, 1896, tome 1.djvu/236

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ration, voilà comment vous savez reconnaître, monsieur, — je ne sais pas à qui « monsieur » s’adressait, car il n’y avait personne avec nous, et cependant ce ne pouvait être à moi — c’est ainsi que vous savez reconnaître les bons procédés, monsieur… toujours bon et toujours généreux. Une personne vulgaire, dit le servile Pumblechook en reposant son verre sans y avoir goûté et en le reprenant en toute hâte, pourrait me reprocher de dire toujours la même chose, mais permettez !… permettez !… »

Quand il eut fini, il reprit sa place et but à la santé de ma sœur.

« Ne nous aveuglons pas, dit M. Pumblechook, son caractère n’était pas exempt de défauts, mais il faut espérer que ses intentions étaient bonnes. »

À ce moment, je commençai à remarquer que sa face devenait rouge. Quant à moi, je sentais ma figure me cuire comme si elle eût été plongée dans du vin.

J’avertis M. Pumblechook que j’avais donné ordre qu’on apportât mes nouveaux habits chez lui. Il s’étonna que j’eusse bien voulu le distinguer et l’honorer à ce point. Je lui fis part de mon désir d’éviter l’indiscrète curiosité du village. Il m’accabla alors de louanges et me porta incontinent aux cieux. Il n’y avait, à l’entendre, absolument que lui qui fût digne de ma confiance, et, en un mot, il me suppliait de la lui continuer. Il me demanda tendrement si je me souvenais des jeux de mon enfance et du temps où nous nous amusions à compter, et comment nous étions allés ensemble pour contracter mon engagement d’apprentissage, et combien il avait toujours été l’idéal de mon imagination et l’ami de mon choix. Aurai-je bu dix fois autant de verres de vin que j’en avais bu, j’aurais toujours pu comprendre qu’il n’avait jamais été tel