Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/42

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pour lui des charmes auxquels il ne pouvait résister. Les maladies, la pauvreté l’attendaient aussi sûrement que la mort s’il continuait le même genre de vie, et cependant il le continua. Vous devinez ce qui dut en résulter. Il ne put obtenir d’engagement et il manqua de pain.

Tous ceux qui connaissent un peu le théâtre savent quelle nuée d’individus misérables, râpés, affamés, entourent toujours un vaste établissement de ce genre. Ce ne sont pas des acteurs engagés régulièrement, mais des comparses passagers, des figurants, des paillasses, etc., qui sont employés tant que dure une pantomime ou quelque féerie de Noël et qui sont remerciés ensuite, jusqu’à ce qu’une nouvelle pièce, exigeant un nombreux personnel, réclame de nouveau leurs services. Notre homme fut obligé d’avoir recours à ce genre de vie, et comme, en outre, il prit chaque soir le fauteuil dans un de ces cafés chantants de bas étage qui restent ouverts après la fermeture des théâtres, il gagna quelques shillings de plus par semaine, ce qui lui permit de se livrer à ses vieux penchants. Mais cette ressource même lui manqua bientôt, son ivrognerie l’empêchant de mériter la faible pitance qu’il aurait pu se procurer de cette manière. Il se trouva donc réduit à la misère la plus absolue ; toujours sur le point de mourir de faim, et n’échappant à cette destinée qu’en recevant quelques secours d’un ancien camarade, ou en obtenant d’être employé par hasard à l’un des plus petits spectacles. Encore, le peu qu’il attrapait ainsi était-il dépensé suivant le même système.

Vers cette époque (il y avait déjà plus d’un an qu’il vivait ainsi, sans qu’on sût de quelles ressources) je fus engagé à un des théâtres situés du côté sud de la Tamise, et je revis cet homme que j’avais perdu de vue, car j’avais parcouru la province pendant qu’il flânait dans les carrefours de Londres. La toile était tombée ; je venais de me rhabiller, et je traversais la scène, quand il me frappa sur l’épaule. Non, jamais je n’oublierai la figure repoussante qui se présenta à mes yeux lorsque je me retournai. Les personnages fantastiques de la danse des morts, les figures les plus horribles, tracées par les peintres les plus habiles, rien n’offrit jamais un aspect aussi sépulcral. Il portait le costume ridicule d’un paillasse ; et son corps bouffi, ses jambes de squelette étaient rendus plus horribles encore par cet habit de mascarade. Ses yeux vitreux contrastaient affreusement avec la blancheur mate dont toute sa face était couverte. Sa tête, grotesquement coiffée et tremblante de paralysie, ses lon-