Page:Dickens - Les Papiers posthumes du Pickwick Club, Hachette, 1893, tome 1.djvu/96

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procédèrent à satisfaire leur appétit. La gaieté brillait de nouveau sur leurs visages. M. Pickwick seul restait silencieux et réservé ; le doute et la méfiance se peignaient sur sa physionomie expressive, car sa confiance en M. Winkle avait été ébranlée, grandement ébranlée par les aventures du matin.

« Jouez-vous à la crosse ? demanda M. Wardle au chasseur.

Dans tout autre temps M. Winkle aurait répondu d’une manière affirmative, mais il sentit la délicatesse de sa position, et répliqua modestement : « Non monsieur.

— Et vous, monsieur ? demanda M. Snodgrass au joyeux vieillard.

— J’y jouais autrefois, répliqua celui-ci ; mais j’y ai renoncé désormais. Cependant je souscris au club, quoique je ne joue plus.

— N’est-ce pas aujourd’hui qu’a lieu la grande partie entre les camps opposés de Muggleton et de Dingley-Dell ? demanda M. Pickwick.

— Oui, répliqua leur hôte : vous y viendrez, n’est-ce pas ?

— Oui, monsieur, répondit M. Pickwick : j’ai grand plaisir à voir des exercices auxquels on peut se livrer sans danger, et dans lesquels la maladresse des gens ne met pas en péril la vie de leurs semblables. » En prononçant ces mots M. Pickwick fit une pause expressive, et regarda fixement M. Winkle, qui ne put soutenir sans frémir le coup d’œil pénétrant de son mentor. Celui-ci ajouta alors : « Ne serait-il pas convenable de confier notre ami blessé aux soins de ces dames ?

— Vous ne pouvez pas me placer dans de meilleures mains, murmura M Tupman.

— Ce serait impossible, » ajouta M. Snodgrass.

Il fut donc convenu que M. Tupman resterait à la maison sous la surveillance des dames, et que la portion masculine de la société, conduite par M. Wardle, irait juger des coups dans ce combat d’habileté qui avait tiré Muggleton de sa torpeur, et inoculé à Dingley-Dell une excitation fébrile.

Il n’y avait guère qu’une demi-lieue de distance à parcourir, et le sentier couvert de mousse passait par des allées ombragées. La conversation roula principalement sur les délicieux paysages qui se découvraient tour à tour, et M. Pickwick regretta presque d’avoir été si vite, lorsqu’il se trouva dans la grande rue de Muggleton.