Page:Dickens - Magasin d Antiquités, trad Des Essarts, Hachette, 1876, tome 1.djvu/34

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de fantastique. Il fallait le voir aussi abaisser ses épais sourcils et retrousser son menton en l’air, en lançant à la dérobée un regard de triomphe qu’un lutin aurait pu copier pour en faire son profit.

« Tenez, dit-il en mettant la main dans la poche de son habit et en s’approchant de côté vers le vieillard, je l’ai apporté moi-même de crainte d’accident ; la somme, quoique en or, eût été trop forte et trop lourde pour tenir dans le petit sac de Nelly. Il faut cependant, voisin, qu’elle s’habitue de bonne heure à de semblables fardeaux, car elle en aura à porter quand vous serez mort.

— Fasse le ciel que vous disiez vrai ! Je l’espère, du moins ! dit le vieillard avec une sorte de gémissement.

— Je l’espère ! » répéta le nain.

Et s’approchant plus près encore :

« Voisin, je voudrais bien savoir où vous mettez tout cet argent ; mais vous êtes un homme profond, et vous gardez bien votre secret.

— Mon secret !… dit l’autre avec un regard plein de trouble. Oui, vous avez raison, je… je garde bien mon secret, je le garde bien. »

Sans rien ajouter, il prit l’argent et s’en alla d’un pas lourd et incertain, portant la main à son visage comme un homme contrarié et abattu. Le nain le suivit de ses yeux pénétrants, tandis que le vieillard passait dans le petit salon et plaçait la somme dans un coffre-fort en fer, près de la cheminée. Après avoir rêvé quelques instants, il se disposa à prendre congé du bonhomme en disant que, s’il ne faisait diligence, il trouverait certainement à son retour Mme Quilp en pleine crise nerveuse.

« Ainsi, voisin, dit-il, je vais regagner mon logis en vous chargeant de mes amitiés pour Nelly ; j’espère qu’à l’avenir elle ne se perdra plus en route, quoique sa mésaventure m’ait valu un honneur sur lequel je ne comptais pas. »

En parlant ainsi, il s’inclina, me regardant du coin de l’œil ; puis, après avoir jeté un regard intelligent qui semblait embrasser tous les objets d’alentour, quelle que fût leur petitesse ou leur peu de valeur, il partit.

Plusieurs fois j’avais essayé de m’en aller moi-même, mais le vieillard s’y était toujours opposé en me conjurant de rester. Comme il renouvelait sa prière au moment où enfin nous étions seuls, et revenait, avec mille remercîments, sur la circonstance