Page:Dickens - Magasin d Antiquités, trad Des Essarts, Hachette, 1876, tome 1.djvu/62

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et ayez soin de n’en jamais rien dire à personne. Il ne dort plus, si ce n’est le peu de sommeil qu’il prend le jour dans son fauteuil ; car chaque nuit il sort et reste dehors presque toute la nuit.

— Nelly !…

— Chut ! fit l’enfant, posant un doigt sur sa bouche et regardant autour d’elle. Quand il revient le matin, et c’est habituellement au point du jour, c’est moi qui lui ouvre. La nuit dernière, l’heure était très-avancée ; on voyait déjà clair. Mon grand-père était affreusement pâle ; ses yeux étaient rouges ; ses jambes tremblaient sous lui. Quand je retournai me mettre au lit, je l’entendis gémir. Je me levai et courus à lui ; avant qu’il sût que j’étais là, je l’entendis encore s’écrier qu’il ne pouvait plus supporter cette vie, et que, si ce n’était pour son enfant, il voudrait mourir. Que faire, mon Dieu ! que faire ? »

Les sources de son cœur étaient ouvertes ; la jeune fille, succombant au poids de ses peines et de ses tourments, et puissamment émue par la première confidence qu’elle eût jamais faite encore, ainsi que par la sympathie qui avait accueilli son petit récit, cacha son visage dans le sein de sa douce amie et fondit en larmes.

Au bout de quelques moments, M. Quilp reparut ; il exprima la plus grande surprise de trouver Nelly dans cet état. Il mit dans cette fausse surprise un naturel parfait, une habileté consommée ; la dissimulation était en effet chez lui un art qu’il avait acquis par une longue pratique, et dans lequel il excellait.

« Elle est fatiguée, comme vous voyez, mistress Quilp, dit le nain, louchant horriblement pour faire comprendre à sa femme qu’elle devrait dire comme lui. Il y a loin de chez elle au débarcadère ; elle a été effrayée de voir deux drôles qui se battaient, et, en outre, elle a eu peur de l’eau. C’était à la fois trop d’émotions pour elle. Pauvre Nelly ! »

Sans le vouloir, M. Quilp employa le meilleur moyen possible pour rendre sa jeune visiteuse à elle-même en lui posant doucement la main sur la tête. De la part de tout autre, ce contact n’eût produit sur Nelly aucun effet particulier ; mais, en se sentant touchée par le nain, l’enfant éprouva instinctivement une telle répugnance et un si vif désir d’échapper à cette caresse, qu’elle se leva aussitôt et déclara qu’elle était prête à partir.

« Attendez, dit le nain, vous dînerez avec mistress Quilp et moi.