Page:Dickens - Magasin d Antiquités, trad Des Essarts, Hachette, 1876, tome 1.djvu/76

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ger, » et elles soupiraient et secouaient la tête en signe de fâcheux augure toutes les fois que son nom venait à être prononcé devant elles. Miss Sophie elle-même, qui jugeait que la conduite de M. Swiveller, vis-à-vis d’elle, avait ce caractère vague et dilatoire qui n’annonce point des intentions matrimoniales bien déterminées, avait fini par désirer fortement une conclusion dans un sens ou dans l’autre. Elle avait donc consenti enfin à opposer à Richard un jardinier pépiniériste qui se déclarerait sur le moindre encouragement ; et, comme cette occasion avait été choisie dans ce but, on concevra aisément que Sophie appelât de tous ses vœux la présence de Swiveller à la réunion, et que même elle lui eût écrit pour cela et porté la lettre dont nous avons parlé. « S’il a, disait mistress Wackles à sa fille aînée, quelques espérances ou quelque moyen d’entretenir convenablement une femme, il nous les fera connaître maintenant ou jamais. — S’il m’aime réellement, pensait de son côté Sophie, il faudra bien qu’il me le dise ce soir. »

Mais comme Swiveller ne savait absolument rien de ce qui se faisait, se disait, se pensait à la maison, il n’en était pas le moins du monde troublé. Il cherchait dans son esprit quelle était la meilleure manière de devenir jaloux ; et il aurait souhaité intérieurement que Sophie fût, pour cette occasion seulement, bien moins jolie que d’habitude, ou même qu’elle fût sa propre sœur, ce qui eût aussi bien servi ses projets. Les invités entrèrent en ce moment, et parmi eux se trouvait M. Cheggs, le jardinier. M. Cheggs avait eu soin de ne pas se présenter seul et sans appui ; mais, en homme prudent, il avait amené sa sœur miss Cheggs, qui prit chaleureusement les mains de Sophie, l’embrassa sur les deux joues et lui dit : « J’espère que nous n’arrivons pas trop tôt.

— Assurément non, répondit Sophie.

— Oh ! ma chère, ajouta miss Cheggs du même ton, j’ai été si tourmentée, si ennuyée ! C’est un miracle si nous n’avons pas été ici à quatre heures de l’après-midi. Alick était horriblement impatient de vous voir. Croiriez-vous qu’il était tout habillé avant le dîner, et que depuis il n’a cessé d’aller regarder à chaque instant la pendule pour m’ennuyer de ses instances !… Aussi tout cela c’est votre faute, méchante ! »

Cette confidence publique fit rougir miss Sophie. M. Cheggs, qui, de sa nature, était fort timide devant les dames, rougit éga-