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NICOLAS NICKLEBY.

à peine lever les yeux de peur de rencontrer les regards de lord Frédéric Verisopht et de tous ces drôles.

Elle se leva et sortit de la salle à manger. Elle retint ses pleurs avec effort jusqu’à ce qu’elle fut seule sur l’escalier, et là elle les laissa couler.

— Fameux ! dit sir Mulberry Hawk en mettant ses enjeux dans sa poche. Voilà une fille d’esprit, et nous boirons à sa santé.

Ralph, qui avait épié avec des yeux de loup les acteurs de la scène précédente, parut respirer plus librement lorsque sa nièce fut partie. Les verres circulèrent, les têtes s’échauffèrent, et lui, renversé sur sa chaise, promena ses yeux de convive en convive, et sembla vouloir lire au fond de leurs cœurs et s’amuser à en mettre à nu les frivoles pensées.

Cependant Catherine s’était un peu remise. Elle avait appris par un domestique que son oncle désirait la voir avant son départ, et que les convives prendraient le café à table. La certitude de ne plus les voir contribua beaucoup à calmer son agitation ; elle prit un livre et se mit à lire.

Elle tressaillait par intervalles lorsque la porte en s’ouvrant laissait parvenir à ses oreilles le bruit de l’orgie, et plusieurs fois elle se leva alarmée, s’imaginant entendre sur l’escalier les pas de quelque membre égaré de la compagnie. Cependant, comme rien ne vint réaliser ses appréhensions, elle essaya de concentrer son attention sur son livre, qui absorba par degrés son intérêt au point qu’elle avait lu plusieurs chapitres sans songer au temps ni au lieu, lorsqu’elle fut soudain épouvantée d’entendre une voix d’homme prononcer son nom à son oreille.

Le livre lui tomba des mains. À ses côtés, étendu nonchalemment sur une ottomane, était sir Mulberry Hawk, évidemment rendu pire par le vin, qui n’améliore jamais les individus d’un naturel pervers.

Catherine s’élançait en avant pour sortir, quand M. Ralph Nickleby se présenta à la porte.

— Qu’y a-t-il ? dit Ralph. — Il y a, Monsieur, répondit Catherine dans une violente agitation, que sous le toit où moi, fille sans appui, enfant de votre frère mort, j’aurais dû trouver protection, j’ai été exposée à des insultes qui vous feraient détourner de moi les yeux. Laissez-moi passer.

Ralph détourna en effet les yeux pour éviter ceux de la jeune fille.

Ralph fût entré avec une indifférence parfaite dans la maison d’un pauvre débiteur, veillant au lit de mort de son jeune enfant, et l’eût désigné sans scrupule au bailli, parce que c’était un événement très-ordinaire dans les affaires, et que ce dé-