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NICOLAS NICKLEBY.

biteur eût été coupable d’après son unique code de morale ; mais il y avait là une jeune fille, qui n’avait d’autre tort que d’être venue au monde, qui avait patiemment cédé à tous ses désirs, qui avait passé par une rude épreuve pour lui plaire, et surtout qui ne lui devait pas d’argent, et il sentait sa bile en mouvement.

Il s’assit à quelque distance, prit une chaise un peu plus près, puis se rapprocha encore, et finit par s’asseoir sur le même sopha, et par poser sa main sur le bras de Catherine, dont les sanglots redoublèrent.

— Silence, ma chère, dit-il, n’y songez plus. — Au nom du ciel ! s’écria Catherine, laissez-moi m’en aller ; laissez-moi quitter cette maison, et m’en retourner. — Oui, oui, dit Ralph ; mais il faut sécher vos yeux d’abord, et prendre un maintien plus rassis. Laissez-moi relever votre tête ; là, là. — Ô mon oncle, s’écria Catherine en joignant les mains, — qu’ai-je fait, qu’ai-je fait pour que vous me soumettiez à ces affronts ? Si je vous avais offensé, ne fût-ce qu’en pensée, c’eût été m’en punir bien cruellement, et la mémoire d’un homme que vous avez dû aimer à une époque quelconque… — Écoutez-moi un seul moment, interrompit Ralph sérieusement alarmé par tant d’agitation. Je ne savais pas que cela arriverait ; il m’était impossible de le prévoir. J’ai fait tout ce que j’ai pu alors : marchons ; l’air renfermé de la chambre et la vapeur de ces lampes vous sont nuisibles. Vous allez être mieux si vous faites le moindre effort. — Je ferai tout ce que vous voudrez, si seulement vous me renvoyez chez moi. — C’est bon, c’est bon ; mais il faut reprendre vos regards ordinaires, car ceux que vous avez là épouvanteraient, et personne, excepté vous et moi, ne doit savoir ce qui s’est passé. Marchons un peu, bien ; vous paraissez mieux à présent.

En l’exhortant ainsi à prendre courage, Ralph Nickleby fit quelques tours de salon, ayant sa nièce appuyée sur son bras, maîtrisé par le regard et tremblant au contact de la jeune fille.

Quand il jugea prudent de la laisser partir, il l’aida à descendre, lui arrangea son châle, et lui rendit d’autres petits services probablement pour la première fois de sa vie. Il lui fit traverser le vestibule et descendre l’escalier, et ne lui lâcha la main que lorsqu’elle fut assise dans la voiture.

La portière fut fermée avec rudesse, et le peigne de Catherine tomba aux pieds de son oncle. Comme il le ramassait et le lui rendait, la lumière d’une lampe voisine tomba sur le visage de la jeune fille. Les boucles de ses cheveux défrisées et éparses négligemment sur son front, les traces de ses pleurs à peine effacées, ses joues rouges, son expression de chagrin, tout ranima des souvenirs endormis dans le cœur